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La question de la Catalogne Réunion-débat samedi 21 avril 2018

lundi 16 avril 2018, par Club Politique Bastille

Réunion-Débat du Club Politique Bastille samedi 21 Avril 2018

La Réunion-Débat aura lieu à partir de 14h30 précise au local de l’Emancipation, impasse Crozatier, Paris 12e, Métro Gare de Lyon.

Elle est ouverte à toutes et tous.

Pour préparer la réunion-débat, Francis nous fait parvenir quelques éléments de présentation ci-dessous.

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Quelques éclairages sur la question de la Catalogne

L’État-nation est relativement récent. L’historien tchèque, Miroslav Hroch remarque : « Au

début du XIX e siècle, il n’y avait en Europe que huit États-nations avec une langue littéraire plus ou

moins développée, avec une tradition de haute culture et avec des élites gouvernementales établies ».

Il apparaît que la constitution de l’État-nation coïncide avec le développement d’une

bourgeoisie nationale consciente de ses intérêts et l’essor de la révolution industrielle. Qu’en est-il du

cas de l’Espagne ? Ni au XIX e ni au début du XX e , la bourgeoisie libérale n’a été capable de se doter

des instruments indispensables à la constitution de la nation : l’école, l’industrie et le service militaire

citoyen. La Restauration des Bourbons en 1874, directement pilotée depuis l’École militaire de

Sandhurst en Angleterre, ne parviendra pas à moderniser l’État libéral. Le philosophe Ortega y Gasset,

en 1922, parlait déjà d’une « Espagne invertébrée ».

À la fin du XIX e siècle, deux régions industrielles modernes émergent en Espagne : la

Catalogne et le Pays basque. Progressivement un profond sentiment d’identité va se constituer contre

« l’invasion » d’un prolétariat émigré venu des régions pauvres de la Péninsule : Andalous, Aragonais,

Castillans, Galiciens, Murciens… Cette réaction gagne d’abord le bas clergé, s’étend ensuite à la

hiérarchie ecclésiastique et à grande bourgeoisie industrielle ; particulièrement en Catalogne. Les

coutumes, la langue ne sont-elles pas menacées d’extinction ? En même temps des lettrés, des érudits,

vont faire « renaître » (et/ou imaginer) une histoire de la Catalogne. La grande bourgeoisie textile

catalane, de son côté, va tenter constamment de faire pression sur Madrid afin de bénéficier de

mesures protectionnistes. Bientôt cependant, ce « régionalisme » est dépassé sur sa gauche par un

mouvement « nationaliste », plus radical, encadrant la petite et moyenne paysannerie et bourgeoisie

(« la caseta i el hortet » -la maisonnette et le petit potager-). Ce sera la constitution de l’ERC (Gauche

Républicaine de Catalogne) conduite par le colonel Francesc Macià et ensuite par Lluis Companys.

Précédé de peu par la ville basque d’Eibar, Maciá proclame la République catalane avant même

Madrid, le 14 avril 1931. Soulignons, par ailleurs, que cet indépendantisme catalan bourgeois ou

petit-bourgeois s’oppose violemment dans les années 30 aux masses prolétariennes affiliées à la CNT

ou à la FAI.

Franco après sa victoire (1 er avril 1939), interdit toute référence aux langues, traditions et

emblèmes des nationalités périphériques (catalans, basques, galiciens). Le statut d’autonomie est

aboli. Le président de la Généralité, Lluis Companys, livré par Pétain et la Gestapo à Franco, est

torturé et fusillé. Des milliers d’exilés fuient la terreur de la Phalange. Ce qui n’empêche nullement la

bourgeoisie catalane d’adhérer en masse au régime franquiste.

20 novembre 1975, mort de Franco. Les discussions entre les diverses forces politiques se

concluent par la Constitution octroyée de 1978 et se scellent par le « Pacte du silence ». Juan Carlos

de Bourbon, désigné par Franco, sera intronisé sans que les Espagnols puissant décider du choix d’une

monarchie ou du rétablissement de la république. Le 11 septembre 1977, une gigantesque

manifestation se déroule à Barcelone toutes bannières catalanes déployées. Immédiatement, Adolfo

Suárez et le roi octroient un semblant de statut d’autonomie à la Catalogne. Mais pour mieux noyer les

particularismes catalan, basque et galicien on décide de créer 17 communautés autonomes (« ¡Café

para todos ! » « Café pour tout le monde ! »)

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Pendant 23 ans CIU (Convergence et Union), une coalition démocrate-chrétienne

conservatrice (pléonasme) va diriger la Catalogne. « L’Honorable President de la Généralitat », Jordi

Pujol règnera sans partage en exacerbant un nationalisme des plus démagogiques. Il accuse

« Madrid » de « voler les Catalans »… pendant qu’il détourne allègrement 3% des marchés publics et

s’illustre dans l’évasion fiscale. De 2011 à 2016, c’est Artur Mas, son héritier (actuellement PDe Cat -

Parti Démocratique européen Catalan -) qui prendra le relais en opérant des coupes budgétaires

drastiques et en réprimant violemment avec ses « Mossos d’Esquadra » (police autonome) toutes les

manifestations de salariés et de jeunes.

La crise actuelle ? Elle est née à Madrid. Après un recours du PP (Parti Populaire), en 2010, le

Tribunal Constitutionnel déclare l’inconstitutionnalité du nouveau statut de 2006 pourtant débattu et

approuvé par le Parlement catalan et les Cortès de Madrid et ratifié par référendum. Les choses

s’accélèrent à partir de l’énorme manifestation du 10 juillet 2010 (rappelant celle du 11 septembre

1977. (« Som una nació ! Nosaltres decidim ! » - « Nous sommes une nation ! C’est nous qui

décidons ! »). D’une part, la crise de 2008 frappe violemment toutes les catégories de salariés et les

jeunes, sans compter les milliers de gens expulsés de leurs logements par les banques. Ensuite la

corruption du système Pujol (3% et « Affaire Millet »), dégrade l’image d’Artur Mas et du catalanisme

conservateur (CIU se mue en PDeCat). Il est dépassé sur sa gauche par ERC. Enfin apparaît une force

encore plus radicalisée qui se déclare « anti-système », la CUP (Candidature d’Unité populaire). Cela

se manifeste par les symboles : alors que dans les manifestations on ne voyait que « la senyera » -la

bannière nationale catalane- (jaune à quatre bandes rouges), ce qui domine à présent c’est

« l’estelada » (la bannière étoilée) au triangle bleu frappé de l’étoile blanche, que le vieux colonel

Macià avait ramené de Cuba.

Artur Mas, malgré son entêtement ne peut accéder à la présidence. La CUP oppose son véto.

Finalement, c’est par défaut que Carles Puigdemont accèdera à la présidence de la Generalitat. Dans

cette surenchère clientéliste, les « autonomistes » catalans d’hier (CIU) se déclarent à présent

« nationalistes » (PDeCat)… pour ne pas perdre leur électorat au profit d’ERC ou de la CUP.

La suite est connue. Malgré son interdiction, le référendum pour l’indépendance se tient le 1 er

octobre. Ensuite, « Proclamation » (en toute ambigüité) de la République catalane, application par

Madrid de l’article 155 (État d’exception prévu dans la Constitution de 1978), arrestations des

dirigeants nationalistes catalans, et fuite de Puigdemont et de ses proches. Les centrales syndicales

minoritaires de tendance anarcho-syndicaliste (CNT, CGT etc.) appelaient à la grève générale le 3

octobre contre les violences policières. L’UGT et CCOOO s’y ralliaient in-extrémis. Il est à noter que

les syndicats de dockers de Barcelone boycottaient les navires transportant les forces de l’ordre

(Policía Nacional et Guardia Civil). On ne pensait pas que le référendum pourrait avoir lieu et

pourtant, malgré un déploiement de forces inouï, il s’est tenu ! Incontestablement, ce sont surtout les

Comités de Défense du Référendum (actuels CDR, Comités de Défense de la République) qui ont été

l’instrument de mobilisation de ce vote.

De fait, malgré sa violence, l’État espagnol se révèle être un État faible. Quant au

gouvernement de Mariano Rajoy, il sort étrillé (au profit de Ciudadanos) de « l’opération élections »

en Catalogne. Complètement corrompu (« Caso Gürtel », « Bankia », etc), englué dans les mensonges

(« Caso Cifuentes »), il a sauté à pieds joints sur l’affaire catalane afin de masquer tous ses truandages

derrière le vieil attirail chauvin hérité du franquisme (« ¡Una, grande y libre ! ¡Arriba España ! »). Les

élections du 21 décembre en Catalogne ont à nouveau confirmé une majorité indépendantiste et le PP

de Rajoy ne tient plus que par la grâce du PSOE et de Ciudadanos. Toutefois, et c’est à souligner, les

banlieues ouvrières (d’origine émigrée andalouse, murcienne, aragonaise, etc), ont refusé le vote

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catalaniste et ont opté pour le Parti des Socialistes de Catalogne (PSC- formellement intégré au

PSOE-), ou pour Ciutatans (-Citoyens- parti libéral anti-catalaniste- ).

Du côté basque, l’EAJ-PNV, qui jusque-là avait soutenu le gouvernement Rajoy, refuse à

présent de voter le budget tant que l’article 155 demeure en vigueur ; c’est la moindre des choses que

pouvaient faire les nationalistes basques. Enfin, l’Allemagne d’Angela Merkel ne semble pas

s’empresser de livrer Carles Puigdemont à la police espagnole. L’image de l’Union Européenne déjà

peu reluisante n’en sortirait pas grandie, après le scénario écœurant de l’étranglement de la

Grèce...mais sait-on jamais ?...

La crise catalane pose une question plus générale : comment des États-nations comme la

Belgique, le Royaume-Uni, l’Espagne (peut-être demain la France ?) peuvent-ils voir à nouveau

ressurgir cette question au XXI e siècle ? On peut se risquer à avancer une explication à trois niveaux.

D’une part la crise économique, le chômage de masse monstrueux qui frappe depuis des décennies les

salariés et la jeunesse, peuvent donner l’espoir (ou l’illusion) qu’en se réfugiant dans une communauté

nationale proche, on vivra mieux et dans un système plus démocratique. Le deuxième facteur qui entre

probablement en jeu c’est celui de l’Union Européenne qui tend à disloquer les prérogatives des vieux

États-nations. Enfin et surtout la formidable puissance des entreprises multinationales et financières du

capitalisme mondial globalisé fait que les États-nations apparaissent de plus en plus démunis. Google,

Facebook, Arcelor-Mittal, Amazone, HSBC, Goldman Sachs, etc., imposent à présent leurs décisions

aux États.

Après tout, les penseurs libéraux, marxistes et libertaires (pour des raisons différentes) avaient

envisagé la disparition des nations et des frontières. Comme le disait l’historien des relations

internationales Bertrand Badie : « Les frontières et les États-nations ne sont pas éternelles ».

Francis Pallarés Aran, 10 avril 2018.

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