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La Belle époque est terminée par JK - Notes à propos du résultat des élections européennes en France. Par Pierre Salvaing (non membre du CPB)

samedi 15 juin 2019, par Club Politique Bastille

La Belle époque est terminée

Depuis plus de six mois, chaque semaine, par dizaine de milliers, femmes et hommes revêtus d’un gilet jaune manifestent ; exceptionnel, c’est vraiment exceptionnel.

C’est au mois de Décembre que la mobilisation a été la plus massive, puissante : plusieurs centaines de milliers de manifestants ont déferlé dans des dizaines de villes. En réponse aux brutalités policières, les Gilets Jaunes n’ont pas reculé, comptant plus de 2000 blessés.

Ces coups de boutoir ont paniqué le pouvoir. Les directions de la police et de la gendarmerie en conviennent : le pouvoir a été menacé… craignant que l’Élysée ne soit investi (!) ainsi que certaines préfectures comme au Puy…

Un événement hors normes.

Un véritable soulèvement populaire tournant parfois à l’émeute, mêlant salariés très mal payés, précaires, auto-entrepreneurs, chômeurs, femmes à temps partiel… Inopinée, le mouvement des Gilets Jaunes c’est l’irruption des masses invisibles dans le champ social et politique.

Spontanée mais pas inorganisée. Organisée différemment des manifestations « classiques », refusant tout « leader » désigné par le système médiatique, en multipliant les « Actes », ils ont déjoué la plupart des pièges, écrit une pièce d’une richesse qu’on ne mesure pas encore.

Ils ont résisté aux attaques d’une haineuse du pouvoir, des journalistes aux ordres, des « experts », en communication… Ni homophobes, ni racistes, ni antisémites, pas même anti-républicain, ils ont, semaine après semaine, écrit une histoire fraternelle, politique. L’Histoire. Les ronds points ont tenu lieu de salle de réunion, d’état major. Les opprimés se sont découverts, rencontrés. La parole a circulé. La réflexion politique aussi. Ceux qui fument « des clopes roulent au diesel », sont pour nombre d’entre eux passés de la révolte à la conscience.

Les agitateurs médiatiques haineux, Versaillais ont justifié l’ampleur inédite de la répression policière. Certains ont réclamé des fusillades… Une répression à la hauteur de la peur du gouvernement, de la bourgeoisie.

Nous sommes probablement à la fin du mouvement, encore que nul ne sait ce qui va se passer. Le mouvement repartira-t-il ou s’interrompra-t-il vraiment ?

Examinons avec lucidité les points faibles du mouvement. Les Gilets Jaunes sont restés, isolés avec l’absence totale du salariat, de la jeunesse, fusse en signe de solidarité élémentaire. Les Gilets Jaunes ont donné le maximum possible mais, sans alliés. Ils ont assumé, seuls, le combat contre l’état.

Ajoutons qu’ils n’ont pas éprouvé la nécessité d’élire une réelle assemblée nationale des ronds points. Les appareils syndicaux sont resté à l’écart, tout aussi effrayé. Même les organisations d’extrême gauche sont longtemps restés sur la réserve sans compter le POID entré en guerre… contre les Gilets Jaunes ! Des artistes, des intellectuels, des universitaires ont pétitionné en solidarité. C’est bien mais c’est court…

Il y a naturellement des raisons profondes à cette apathie salariale.

Emietté, réduit à quelques bastions (automobile, aéronautique, chimie, SNCF) en partie désintégré par la désindustrialisation et la précarité, la classe ouvrière n’a pas bougé. Au delà de ce noyau prolétarien, les salariés craignet les licenciements, le chômage. La peur est là, la conscience de classe brouillée. Les grèves sont rares et la plupart visent à obtenir le moins mauvais plan social… Les défaites encaissées, la classe ouvrière ne bouge pas. Et ceux qui voient des luttes partout racontent des balivernes.

J’émets une hypothèse.

Il faut probablement admettre qu’en France, probablement dans toute l’Europe, la violence de la concurrence mondiale conduit les travailleurs à « comprendre » la situation du patronat dans la mondialisation comme s’ils étaient dans le même bateau ! Travailleurs nationaux et étrangers se disputent les emplois qualifiés, payés… Les salariés ne voient aucune alternative à cette situation. C’est probablement l’une des causes profonde de l’apathie, de la démoralisation. Les Gilets Jaunes dos au mur ont rompu ce consensus, engagé avec audace la lutte contre le gouvernement, réclamé la « démission de Macron ! », dépassé la simple revendication sur les prix et les salaires pour poser la question du pouvoir, de la démocratie. Isolés, les Gilets Jaunes n’ont jamais rendu les armes.

C’est un événement historique.

Effrayée, la bourgeoisie s’est électoralement regroupée autour de Macron, siphonné les LR, certains débris au PS et même du PC, s’affirmant garant de l’ordre capitaliste néo-libérale. Aux européennes, Macron a perdu le match qu’il avait provoqué avec le RN, mais perdu sans débâcle. Il a été battu aux penalties. Le pire a été évité.

Sur le plan institutionnel, la route est barrée. Il n’y a pas « d’alternative ». Les résultats de la FI, de la liste « deux magots » du PC de LO sont lamentables…

C’est d’en bas que peut venir la solution. Comme en Algérie, au Soudan…

Les Gilets Jaunes ont combattu sans « direction révolutionnaire »… C’est également le cas à une toute autre échelle en Algérie, au Soudan où des millions défient le pouvoir avec courage, opiniâtreté. Relevons que ces mouvements, comme en France, se manifestent sur la durée…

L’issue n’est pas acquise mais une victoire est possible. Ce serait un point d’appui considérable. La lutte des classes en France a besoin d’air.

Nous vivons donc un double mouvement. D’un côté une mobilisation de masse qui naturellement s’essouffle mais qui inévitablement connaitra des lendemains. De l’autre, une décomposition de toutes les organisations politiques issues du siècle dernier : socialistes, communistes qui ont exercé le pouvoir et ceux, essentiellement trotskystes qui ont tenté de s’opposer à cette politique de collaboration avec le néo-libéralisme également en voie de disparition. Or, Besancenot a beau « tendre la main » à toutes les forces de gauche, ça ne marchera pas. Ça ne marchera plus. Pour la grande majorité des salariés, cette « union » a échoué. Toutes les organisations ont échoué. La décomposition se poursuit. La crise de la FI est le dernier avatar de ce processus. Il faut bien sûr analyser la situation des organisations syndicales. Par définition, elle est différente mais s’inscrit dans le cadre général.

S’il doit y avoir une solution, c’est du bas qu’elle viendra, c’est l’enseignement principal du combat des Gilets Jaunes qui, rappelons le, jusqu’au bout aura bénéficié d’un soutien majoritaire dans l’opinion publique.

Il faut échanger, réfléchir à cette situation contradictoire et difficile[1]. La situation internationale économique, stratégique se tend. Les gouvernements en Europe, mais aux USA, en Chine se crispent. La politique tourne à l’affrontement. La violence s’invite un peu partout.

La belle époque est terminée. C’est l’un des enseignements du mouvement des Gilets Jaunes.

[1] Espérons que la chronique de ML va bientôt sortir en livre.

JK

13/06/19

***

Rectificatif de Pierre Salvaing du 27 juin 2019 :

"(...)
Je viens de lire sur le site du Club Politique Bastille que le Club avait porté un intérêt suffisant au texte que j’ai écrit pour le publier. Directement à la suite du tien.
Il y a donc une ambiguité dans la mise en ligne : on pourrait croire que je suis membre du Club Politique Bastille. Cela n’est pas le cas.
Je serais heureux que cela puisse être rectifié, et t’en remercie par avance.
(...)"

Notes à propos du résultat des élections européennes en France
Par Pierre Salvaing

Samedi 15 Juin 2019

Les élections ne donnent jamais qu’une image quelque peu déformée, imprécise et partielle, de la réalité du rapport de forces entre les classes et de l’état de la représentation politique de chacune des deux classes fondamentales de la société, ainsi que des différentes couches de la petite-bourgeoisie.

Ce qui me paraît être le premier enseignement de ces élections, pour la France, c’est la disparition presque totale de toute représentation politique de la classe ouvrière. Si l’on additionne les résultats du Parti Communiste Français (PCF) et de Lutte Ouvrière, en y ajoutant même, avec toutes les réserves que la composition de cette liste imposent, ceux du candidat soutenu par le Parti Socialiste, et en surajoutant même le Mouvement de la France Insoumise (MFI), qui s’éloigne pourtant depuis les élections présidentielles de toute référence à ses origines de même nature, nous arrivons à un chiffre très inférieur à ceux auxquels les élections traditionnelles nous avaient habitué dans les décennies précédentes.

La difficulté même de ranger dans les rangs de la représentation politique de la classe ouvrière telle ou telle organisation ou telle ou telle liste suffit déjà à montrer le véritable délitement en cours. La première cause et responsabilité vient de cette représentation politique elle-même, discréditée par les appuis qu’elle a toujours apportés à l’état bourgeois et aux gouvernements qui, quelle qu’ait été leur coloration, le représentent et le défendent. Les partis ouvriers traditionnels, le Parti Socialiste et le PCF, ont très largement contribué à leur auto-destruction.

Mais ce délitement n’est pas seulement celui d’une représentation politique. Il est en cours également et d’abord dans la classe ouvrière elle-même. La politique de trahison de sa représentation politique comme celle de ses directions syndicales est en premier lieu responsable des plusieurs décennies de coups, de défaites, de pertes des conquêtes sociales et de disparition de secteurs entiers. De ce fait, la classe ouvrière a été considérablement affaiblie tant quantitativement que qualitativement, au niveau de sa conscience de classe.

Il faut d’autant plus souligner ce qui m’apparaît comme un fait indiscutable et de première importance qu’il est généralement passé totalement sous silence, au mieux minimisé à l’extrême.

On voudrait faire croire que toutes les défaites ouvrières, qu’elles se passent sur le terrain législatif ou sur celui des affrontements de classe, réformes successives des retraites, attaque frontale contre le statut des cheminots, lois détruisant de larges pans du code du travail, altérations et dégradations considérables du système scolaire et universitaire et du système de santé et attaques contre les libertés démocratiques fondamentales à commencer par la question de l’immigration, une fois qu’elles sont passées, seraient sans effet sur la vie de ceux qui les subissent. L’existence normale reprendrait son cours et la classe ouvrière reprendrait ses forces. Cette façon de masquer d’abord aux masses la réalité de leur situation, est une constante quasi-générale dont la bourgeoisie, les appareils syndicaux et ce qui reste des partis politiques issus de la classe ouvrière sont les principaux responsables.

La défaite électorale massive de la représentation politique de la classe ouvrière dans son ensemble est donc à l’image de ce à quoi cette classe ouvrière a été ramenée depuis une quarantaine d’années.

On peut même se risquer à situer le démarrage de cette situation à l’élection de François Mitterrand en 1981.

Le mouvement des gilets jaunes est à cet égard une sorte de représentation de la situation où se trouve plongé le prolétariat. Son caractère principalement prolétarien n’a jamais été niable, bien que plusieurs organisations et groupes dits ou se disant révolutionnaires l’aient nié et rejeté. Mais il exprime aussi ce délitement subi par la classe ouvrière, jusqu’à sa lumpenisation. C’est pourquoi il n’a pu rassembler avec lui et en lui les masses prolétariennes, en même temps qu’il a contradictoirement, contre vents et marées, été accueilli par leur majorité avec une réelle sympathie.

Ce mouvement a subi au cours des mois des attaques et des agressions puissantes, multiples et épuisantes, tant de la part de l’état bourgeois, police et justice, que de celle des appareils syndicaux, plus insidieuse, et politiques de tous bords. Elles ne sont pas non plus sans conséquences sur son état actuel, que je considère sur le déclin, en dépit des efforts et des résistances remarquables.

Il a obtenu pourtant quelques résultats, quelques reculs partiels et provisoires du gouvernement, ce qui est loin d’être négligeable quand on compare ces résultats avec ceux des prétendus combats et journées d’action commandés par les appareils syndicaux. Ils prouvent déjà combien un mouvement ouvrier débarrassé de ses appareils traîtres pourrait encore être puissant.

Mais l’état bourgeois et son gouvernement ont amplement utilisé les provocations troubles qui ont accompagné ce mouvement, comme les étonnamment toujours insaisissables Black Blocs, pour lancer de nouvelles attaques contre les libertés démocratiques élémentaires, tant à travers la nouvelle loi anti-casseurs que dans les pratiques quotidiennes de la police et de la justice.

Ce mouvement ne pouvait avoir de véritable représentation sur le terrain électoral des élections européennes, ni sur d’autres. Ce n’est pas sa vocation, ni son terrain de combat, c’est même contradictoire avec son orientation première. La recherche d’une élaboration de programme politique, qui n’est pas d’abord un programme électoral, ne peut qu’entraîner en son sein des clivages et des ruptures, phase nécessaire et inévitable au regard de la spontanéité d’où il s’est créé. En tout cas, ce mouvement, qui s’est constitué précisément en cherchant à éviter les obstacles existants dans la classe ouvrière, ne pouvait de ce fait à lui seul et en lui-même fédérer l’ensemble de la représentation ouvrière et prolétarienne et surtout pas dans un cadre électoral. Il atteint aussi ses limites précisément parce qu’il n’a pas la capacité de s’attaquer frontalement à la question centrale des obstacles qui obstruent l’exercice de la véritable démocratie ouvrière, avant tout le pouvoir des appareils syndicaux et leur collusion permanente avec le pouvoir bourgeois. En Algérie, c’est à mon avis le mouvement pour renverser la direction de l’Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA) et pour se réapproprier les syndicat qui marque le plus haut degré de conscience atteint par les masses en mouvement depuis des mois.

Le second grand enseignement de ces élections me paraît concerner l’état de la représentation politique de la bourgeoisie.

Effondrement de sa représentation traditionnelle, héritée du gaullisme, cet effondrement ne me paraît pas avoir de possibilités d’inversion et de redressement. Un renouvellement très important du personnel politique de la bourgeoisie est en cours, bien qu’il soit apparu très vite, comme l’a résumée l’affaire d’Alexandre Benalla, que la pureté originelle supposée de la nouvelle représentation politique de cette classe était immédiatement sujette à caution aux yeux de tous.

Désormais, du moins pour l’heure, dans le camp de la bourgeoisie, tout paraît se concentrer vers et dans une bipolarisation, un pôle étant Emmanuel Macron et l’autre étant Marine Le Pen. Il se peut que les élections municipales brouillent un temps quelque peu cette tendance, à cause de leur caractère spécifique. Ils représentent deux courants du capitalisme français, mais aussi bien plus généralement deux tendances qui se manifestent partout dans le capital impérialiste, celle du repli sur soi du Rassemblement National, de la dislocation volontaire du marché mondial et de la marche rapide aux conflits ouverts entre états et puissances impérialistes, mais qui permet pour l’instant une expression populiste et démagogique à laquelle une partie significative du prolétariat subissant coups et défaites ne peut être insensible, et celle d’un effort pour poursuivre dans la voie du maintien du marché mondial et des accords internationaux, au prix d’attaques sans cesse renforcées contre la classe ouvrière à l’échelle internationale. Ce sont d’ailleurs ces attaques qui permettent au premier courant nommé son caractère profondément démagogique.

Il y a hésitation et indécision. Mais je ne doute pas que la pente générale ne finisse par tirer vers les pires solutions, lorsque la crise économique reprendra ses effets les plus dévastateurs comme elle le fit en 2008 et en 2009. Tous les ingrédients s’en concentrent. Ils sont alimentés au niveau mondial par l’orientation impulsée par le gouvernement américain et par la compétition de plus en plus exacerbée avec le capitalisme chinois en premier lieu. La marche à la barbarie est quelque peu accélérée. Elle s’exprime notamment par les restrictions incessantes des libertés démocratiques, généralisées, qui trouvent en France une expression particulière, dans les attaques contre les Gilets Jaunes, mais aussi contre les journalistes et le gazage des dirigeants syndicaux le premier mai, tous gestes où le symbolique rejoint le passage direct à l’acte.

En tout cas, ce n’est qu’à ce niveau d’évaluation que se situe le conflit et la compétition entre le courant d’Emmanuel Macron et le courant de Marine Le Pen, entre lesquels se dessinent et se dessineront sans doute des tentatives de convergences et d’accord, comme peut-être ce que vient de faire Marion Maréchal-Le Pen notamment.

La place de la jeunesse peut être un troisième point d’intérêt. Le vote écologiste et son succès relatif lui doit vraisemblablement une part.

Même si c’est à mon avis nettement préférable au désintérêt total de la chose politique manifesté par l’abstention massive de la jeunesse depuis assez longtemps, et bien que cela manifeste aussi une inquiétude saine pour son avenir assez proche, cela indique le niveau de conscience politique à quoi la situation confine la jeunesse. C’est pour bonne partie le résultat déjà des attaques massives contre le droit à l’instruction et à l’accès aux connaissances, qui ont connu des succès depuis le premier en date de la réforme de Lionel Jospin. La loi de Jean Michel Blanquer est un nouveau pas en avant très important dans cette destruction.

D’ores et déjà la jeunesse est profondément atteinte dans son accès à la conscience politique par l’ignorance dans laquelle elle est volontairement maintenue. L’étoile sur laquelle le capital guide son orientation peut être matérialisée par ce qu’avait dit le roi Hassan du Maroc au lendemain du massacre massif de lycéens marocains du mois de mars 1965, parce qu’ils manifestaient contre la décision de fermeture brutale des lycées aux élèves marocains de plus de seize ans, « il aurait mieux valu que vous soyez tous illettrés ».

L’autre raison de cette dépolitisation massive, si nous la comparons avec ce qu’était la jeunesse étudiante dans les années 1960 et 1970, est, avec la disparition des partis ouvriers traditionnels, celle quasi-totale des formes d’organisation qui lui étaient propres, au sein desquelles l’Union Nationale des Etudiants de France (UNEF) joua longtemps, malgré sa place très minoritaire, un rôle important en liaison avec le mouvement ouvrier.

Cela ne signifie pas pourtant que le vote écologiste constitue, surtout pour la jeunesse, une impasse.

La fraction d’entre elle, relativement faible encore, qui a voté écologiste peut évoluer avec le constat, que même Nicolas Hulot est parvenu à exprimer, qu’il n’est pas compatible de prétendre à la fois sauver la planète et le capital. Tout comme la véritable démocratie implique l’expulsion du capital financier, industriel et commercial, dans la dépendance du premier, et des forces politiques qui le représentent, ainsi que par conséquent le renversement de l’état bourgeois avec toutes ses défenses répressives et judiciaires, de même l’objectif du sauvetage de l’humanité, et non, comme le dit le discours ordinaire, de la planète, suppose et exige le même combat. Il devrait même s’y intégrer pleinement. C’est un des erreurs de ceux qui prétendaient et dont certains se prétendent toujours se placer à l’avant-garde de la classe ouvrière que d’avoir totalement et constamment passé sous silence cette question majeure. Elle concentre, à sa base même, la question de la destruction des forces productives de l’humanité.

Les donneurs de leçons prétendant construire une avant-garde révolutionnaire ont toujours confondu dans le même mépris et le même rejet ceux pour qui les problèmes planétaires rassemblés sous le vocable écologie sont une réalité de plus en plus angoissante et urgente, et ceux qui ont cherché à en faire une carrière électorale, pour partie tournée vers les appareils ouvriers, Parti Socialiste en tête, pour partie directement vers la bourgeoisie. Ceux-là ont simplement tiré parti du vide abyssal ouvert par les organisations ouvrières sur cette question. Il me paraît normal et sain qu’une partie déjà au moins de la jeunesse cherche à s’emparer de cette question, pour elle vitale au même titre que son droit aux études et au travail.

Je pense enfin qu’il faut réserver un sort particulier à la question du MFI. L’élément essentiel du succès du MFI lors du premier tour des élections présidentielles, c’est qu’il est apparu à une masse d’électeurs prolétariens comme la possibilité de rassembler en une seule organisation, et pas seulement sous un seul nom, les composantes traditionnelles du mouvement ouvrier, le Parti Socialiste et le PCF, avec l’illusion chargée par un discours agressif entendu comme combatif et efficace. L’illusion est rapidement retombée à mesure que Jean Luc Mélenchon affirmait son rôle de caudillo, refusant toute apparence même de combat d’unité et allant jusqu’à renier les bases sur lesquelles il s’était construit, les racines du mouvement ouvrier, ce que recouvre l’appellation fausse et déformée de gauche, qui d’ailleurs inclut des forces et des mouvements étrangers au mouvement ouvrier.

D’une certaine façon, Clémentine Autain le traduit lorsqu’elle parle de la « déconnexion entre ce qui se passe dans la société et les résultats de cette élection. Il faut en prendre la mesure. Les Gilets Jaunes n’ont pas dit leur dernier mot, une vague de jeunes manifestent pour le climat, les professeurs s’opposent à la loi de Jean Michel Blanquer et les hôpitaux en burn-out se mettent en grève. Mais il n’y a pas la traduction politique de ce que nous ressentons socialement. Mais avec Europe Ecologie Les Verts (EELV), nous avons un vrai débat de fond. Peut-on mener la transition énergétique dans un monde où règne la loi du profit  ? Notre conviction est que ce n’est pas possible et qu’il n’y a pas de solution à l’urgence climatique si nous n’affrontons pas le pouvoir du capital ».

La désertion d’un jeune et important cadre du MFI pour le camp du Rassemblement National n’est pas à mon avis un incident marginal. Il faut rappeler que ce même cadre, Andrea Kotarac, n’avait été que très gentiment disputé lors de son scandaleux voyage en compagnie de Mario Maréchal-Le Pen. C’est un détail qui a son importance. Cela signifie à mon avis que la dérive populiste largement entamée par Jean Luc Mélenchon et son MFI après lui ne peut être éloignée profondément du Rassemblement National, qu’en tout cas elle ne peut lui être antagonique, les deux organisations tendant à pêcher dans les mêmes eaux troubles. Robert Duguet a cherché à en expliquer les précédents et les racines historiques dans son récent ouvrage, « dérives populistes dans le mouvement ouvrier hier et aujourd’hui ». C’est pourquoi la crise d’éclatement au sein du MFI me paraît inévitable. Mais je doute fort que de cette crise émerge une force capable, pour reprendre l’expression de Clémentine Autain, d’affronter le capital.

Je ne doute pourtant pas que, comme en Algérie, de façon plus confuse au Soudan, des soulèvements à caractère pré-révolutionnaire ou révolutionnaire se produiront dans l’urgence accélérée de la crise de l’humanité. La jeunesse y tient et y tiendra une place considérable.

Il faut pourtant noter que ceux qui ont eu lieu récemment, comme il y a quelques années en Tunisie, voire en Egypte, sont vite tombés dans une impasse, qui ne paraît pas difficile à comprendre. Mais dans aucun pays capitaliste avancé de tels mouvements n’ont depuis longtemps émergé. La tendance est inverse depuis des décennies, le capital a repris l’initiative dans la lutte des classes au niveau international. La chute de l’union soviétique, qui a en même temps mis fin au stalinisme, ce cancer du mouvement ouvrier pour reprendre le mot de Léon Trotsky, n’a pas jusqu’ici permis de libérer les forces de la classe ouvrière et de la jeunesse. Le cancer, et d’autres maladies, les ont laissées très affaiblies.

Cela ne signifie pas que la classe ouvrière soit amorphe dans les grands pays capitalistes, comme le montrent, par exemple les luttes de classe en Chine depuis des années, pays où elle connaît une concentration remarquable. En France, notamment, les appareils syndicaux parviennent toujours à étouffer les débuts d’incendie dans la classe ouvrière avec des méthodes éprouvées. Le mouvement des Gilets Jaunes a montré quels chemins difficiles, originaux et écartés dans un premier temps, la spontanéité prolétarienne est contrainte d’emprunter.

Et manque, selon moi, dans le même temps, par-dessus tout, l’élaboration programmatique fondée sur une analyse marxiste de la situation actuelle, à laquelle le vieux programme de 1938 sur quoi s’est fondée la quatrième internationale ne peut plus répondre. Comment construire une véritable organisation et de véritables formes d’organisation révolutionnaires à l’échelle internationale sans ce levier ?

Ces notes ont avant tout la faiblesse d’être celles d’un observateur impuissant, dont ce n’était certes pas la vocation, et qui a cherché pendant plusieurs dizaines d’années à être un militant révolutionnaire sous la bannière du trotskysme.

Réf. : http://www.fischer02003.over-blog.com/2019/06/gilets-jaunes-et-elections-europeennes.html

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