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mardi 22 janvier 2019, par Club Politique Bastille

Réflexions sur le 5 Février

Les Gilets Jaunes ont été successivement des antisémites, des « factieux », des « casseurs », leurs cortèges évidemment « infiltrés » - ah le terme – par des fascistes et l’Ultra Gauche (!).

Au 10ème Samedi, moins de violences, ce sont des « cortèges qui prennent des allures de cortège syndical » écrit, dépité, le journaliste du « Monde » qui aurait souhaité de nouvelles violences : mentir, truquer, pour disqualifier. La presse regrettait qu’il n’y ait « pas de service d’ordre », maintenant, il y en a…

Que dire d’autre, comment déconsidérer ? Le secrétaire d’état à l’intérieur dénonce la « guérilla urbaine » ! Donc le ministre de l’intérieur a compté, ils étaient, exactement au manifestant près, 84.000. Ni 83.999 ni 84.001 ! C’est un nouveau mensonge. Pour avoir vu passer le cortège parisien dans son entier, ils n’étaient pas 7.000 mais au moins 12.000… Au total, ce 10ème acte est un énorme succès. Le Figaro lucide laisse entendre qu’ils étaient 150.000 !

Quand la police n’attaque pas, il n’y a pas de violence… Castaner ne sait plus quoi inventer. Et la vérité se fraie en chemin. Grâce au journaliste Duquesne qui a fait une véritable enquête sur les victimes de la répression. On sait maintenant que le flash ball est une véritable arme de guerre. La « grenade de désencerclement » ? Une grenade avec du TNT, une grenade de « guerre » précise le spécialiste Alain Bauer sur la 5 samedi soir… La « guérilla urbaine » existe : c’est le gouvernement qui l’organise.

Grand show de Macron baptise par anti-phrase « Grand débat ». À deux occasions, toutes les chaînes « d’informations » ont diffusé dans l’intégralité ses propos. Des maires aux ordres, le Tiers Soumis, ont posé des questions attendues (1). Et quasiment pas d’intervention contre la politique Macronienne. La République quoi !
Une entreprise de propagande à l’égal de celle auxquels on peut assister à Pékin, Moscou… Macron titube, donne l’illusion d’exister encore politiquement. Il rassemble sur sa droite, plume la volaille Wauquiez, mais ça ne fait ni une majorité, ni une assise sociale.

La CFDT implore d’être reçue pour collaborer au « pouvoir vivre », sans rire.
FO se tait.
La CGT s’inquiète car des militants commencent à rejoindre les G Jaunes et Samedi, ici et là on a vu des cortèges syndicaux. Petits cortèges mais présents.

Martinez a donc choisi l’offensive. Le 5 Février, on va voir ce qu’on va voir. Une journée d’action dirigée… contre les G Jaunes. Un mardi ! Pas un vendredi…
Des camarades veulent se placer sur le terrain des illusions pour les combattre. C’était une formule de feu Lambert qui aboutissent en général à couvrir les appareils syndicaux.

Le 5 est une honte ! Une prétendue journée d’action dirigée contre les GJ, pour soutenir le gouvernement. Oui, soutenir le gouvernement.

Que font les militants opposants dans la CGT ? On ne les entend pas. Ils doivent dire ce qui est : il faut rejoindre les Gilets Jaunes, sur les ronds-points et dans les manifestations.
La lutte contre la réforme des retraites, la mobilisation contre la réforme de la fonction publique, c’est maintenant ! Avec les Gilets Jaunes qui combattent déjà depuis deux mois et demi ! Il est temps de les rejoindre, de se rassembler, de s’unir. Militants de la CGT, réunissez vos sections, tenez des AG avec les salariés. N’attendez pas une autorisation des permanents, des bureaucraties : avec les Gilets Jaunes contre les réformes de Macron, pour sa démission.
Dans la CGT, FO, il faut cesser les manœuvres d’appareils, en finir avec les suppliques pour la presse générale. C’est le moment d’y aller ! Les salariés restent l’arme aux pieds. Ils attendent que les Gilets Jaunes gagnent ! Seul, c’est très difficile. Le rôle des militants d’avant-garde c’est calmement, d’expliquer. Il est temps de rompre avec la soumission aux directions.

(1) - Une maire a expliqué à la télévision que les questions ont été transmises, 8 jours avant à Macron !

21/01/19

***

Journal des GJ quater

Lundi 18 mars

L’Acte XVIII marque un tournant dans la situation.
Les réactionnaires parlaient de « crise des gilets jaunes », les véritables femmes et hommes de gauche, les révolutionnaires, parlaient eux de « mouvement des gilets jaunes ». Depuis hier, c’est une véritable crise politique d’ampleur qui s’est ouverte en France.

Le gouvernement s’est mis tout seul dans la nasse.
En s’obstinant à ne pas répondre aux exigences des gilets jaunes, en usant et abusant de violences policières, il a réussi à faire durer et à radicaliser le mouvement et à rendre visible une politique de maintien de l’ordre alternant provocations et brutalités abjectes. Il ne peut plus sortir de la crise sans renier tout ou partie de sa politique.
L’écran d’enfumage médiatique du Grandébat qui se terminait ce week-end n’a rien masqué de sa gouvernance sectaire et autoritaire. Avant même le dépouillement effectué, Libération a publié en détails une analyse sociologique des participants. Il en ressort que le Grandébatteur type est un homme âgé, propriétaire de sa résidence. Plutôt loden que gilet jaune. En fait, ce sont essentiellement des électeurs macroniens qui ont participé au raout voulu par le Patron. Certes, quelques opposants (élus ou giletés) n’ont pu résister au célèbre quart d’heure de notoriété mais ils n’étaient là que pour le spectacle.
Les conférences devraient continuer car leur arrêt brutal serait trop dangereux pour l’exécutif affaibli. Elles permettent en outre une campagne électorale européenne à moindre coût.
Que va-t-il sortir de ce brain trust saumâtre alors que, dans le même temps, ont jailli du cerveau de ministres « hors sol » des propositions telles que l’allongement de l’âge de la retraite, une journée non payée supplémentaire … On est bien loin des revendications établies par les assemblées des ronds-points.

Aujourd’hui, le président doit rencontrer des « intellectuels ». Ou plutôt, un omniscient gourou doit orchestrer un « questions-réponses » devant soixante-cinq courtisans, le plus souvent appointés par l’État. Ses prédécesseurs invitaient souvent des intellectuels pour les écouter. Lui n’a que faire d’écouter. Il sait. Il dispense la bonne parole.

Revenons aux événements marquants de la semaine écoulée.
Vendredi, c’est un torrent de lycéens et de collégiens qui a dévalé les rues de la capitale. J’aurais pu utiliser l’écriture inclusive me direz-vous mais cela n’aurait pas permis de préciser que ce sont majoritairement des filles qui menaient le cortège.
Un million de jeunes ensembles dans le monde pour dire : « A quoi bon étudier si nous devons mourir bientôt à cause de l’incurie des gouvernants et de l’ignorance des adultes. » Le mouvement initié par une jeune suédoise s’est répandu à toute vitesse. Les institutions ont fait mine de comprendre (Greta Thunberg a parlé à Davos) mais elles sont totalement débordées par ce flux de vitalité.
Les jeunes disent crûment leur colère et leur envie de vivre. Ils s’attaquent au système qui les étouffe et les asphyxie. C’est par l’exposition hardie de leur pulsion de vie qu’ils dénoncent la pornographie de la consommation et d’un système vulgaire et mortifère.
Blanquer a bien tenté le coup des heures de concertation au sein des établissements le jour même de la grève. Ce fut un échec. Les jeunes sont sortis dans la rue. Ils redonnent du sens à la vie en évitant l’horreur des religions et le pathos des politiques.
Ce mouvement durera, reviendra régulièrement et empoisonnera la vie des dirigeants. C’est un des aspects de cette crise qui s’ouvre sur le temps long. Il n’y a pas de « convergence » avec d’autres mouvements. C’est un souffle de vie dans un monde qui ratiocine, exclue et tue.

Vendredi encore.
La masse des Algériens, plus forte encore que la semaine dernière, a occupé les villes du pays. L’arrêt du processus électoral et la promesse d’une conférence n’ont pas suffit à calmer la colère. Mais qui voulait nous faire croire le contraire ? C’est la démission de Bouteflika et la fin du « système » qui sont réclamées. C’est le minimum.
La situation en est là et personne ne peut dire ce que l’avenir réserve. Mais tous les Algériens sont prêts à agir pour qu’enfin l’idéal de liberté et d’égalité entr’aperçu en 1962 se réalise. C’est à cette hauteur que rêvent les Algériens. Les factions au pouvoir et les islamistes vont chercher à les réveiller. Mais il semblerait qu’après la « guerre civile » et l’échec du printemps kabyle, après les révolutions arabes, ils n’aient plus peur.
Des comités de quartier organisent la protection mais aussi la mobilisation. Des fraternisations avec la police sont de plus en plus nombreuses malgré les troupes d’élite qui continuent de s’opposer durement aux jeunes qui veulent monter vers la résidence présidentielle.
C’est massif, observé par les peuples et les chancelleries.
C’est vivant et résolu et le discours mortifère de la rationalité néolibérale n’y peut rien.

Ces deux manifestations de vie et d’espoir contre la mort par étouffement dictatorial et par dérèglement climatique ne sont que l’ouverture d’un opéra de luttes salvatrices.

Samedi, Acte XVIII.
Nous ne reviendrons pas sur la question du nombre. Il y avait foule.
Nous ne reviendrons pas sur les scènes de violences, de sauvageries et de grivèleries policières. Elles sont toutes enregistrées, classées et exposées. Merci à Rémi Buisine, David Dufresne et tous les autres.
Revenons à la question du « maintien de l’ordre » comme « ils » disent.
Depuis l’Acte II, les consignes ou les absences de consignes ont fait alterner des périodes de violences télévisables avec des brutalités policières accompagnées de la trilogie : gaz, tirs, DAR. L’objectif était de retourner la célèbre « opinion publique » contre les gilets jaunes. Seize actes plus tard, elle vient de se retourner avec les syndicats de policiers contre la politique du gouvernement. Macron est redescendu des cimes de la Mongie, Castaner est sorti de dégrisement, Philippe s’est mis en colère et le préfet de police de Paris a joué au fusible. Moment de grande solitude politique pour le gouvernement lorsque les dos se tournent, à l’exception de ceux des marcheurs. La violence orchestrée par la place Beauvau ne lui a même pas permis de proclamer l’état d’urgence ou d’interdire les manifestations.
Côté gilets jaunes, ce devait être l’apogée, la montée au ciel, la conclusion. Mais le volontarisme n’a pas suffit.
La volonté de changement portée par les gilets jaunes continuera d’avancer par d’autres voies. Il y aura sans doute aussi d’autres samedis de manifestations mais ce n’est plus l’essentiel. Il n’y a plus nécessité d’affronter l’appareil d’État à date et à heure fixes. La bataille du calendrier est gagnée. Le temps est maintenant à la réflexion, à l’organisation et surtout à la recherche de comment faire vivre un mouvement qui porte toutes nos revendications en bandoulière. Certains rechercheront l’escalade violente, d’autres envisagerons le contournement de l’État et se réfugieront dans des ZAD ou la préparation des municipales. Ce sont là le plus souvent des choix militants mais c’est la large nappe des gilets jaunes et de leurs soutiens qui a en fait la réponse et celle-ci sera forcément inédite et faite de milliers d’initiatives propres à s’émanciper de la prégnance néo-libérale. La centralisation, l’affrontement, comme souvent, viendront des pulsions d’autoritarisme d’un gouvernement désavoué.

Samedi, il y avait aussi la marche pour le climat. De nombreux gilets jaunes en étaient.
La fin du mois, la fin du monde.
Une jolie phrase, une réalité.
Des centaines de milliers de personnes ont manifesté à l’appel de nombreuses organisations et associations. Le sujet était sensible mais la manifestation a été de témoignage, les participants allant de macronistes à Hulot, de l’extrême gauche à l’extrême centre, le tout accompagné par les reportages de Closer. Il n’y a pas eu de divergence avec les gilets jaunes. Le rapprochement politique serait plus à chercher du côté des cortèges contre la violence policière.

Donc, l’« opération Corned Beef » de Castaner (le black block et les gilets jaunes complices s’attaquent à la République) a échouée. Le gouvernement a subi un revers ce week-end.
Le Grandébat des marcheurs cueilleurs d’honneurs et de prébendes se poursuit de salles en salles.
Les enseignants doivent se mettre en grève mardi. Une grande agitation, l’horreur de Blanquer, les traversent. Espérons qu’ils passent enfin à l ‘action concrète.
La CGT et FO annoncent des grèves pour le pouvoir d’achat. Vont-ils s’inscrire dans le combat des gilets jaunes ? Espérons-le mais qui s’en soucie encore ? Encore une journée d’action pour ne pas se faire oublier.

Le modèle répétitif de la lutte, l’enchaînement rapide des événements appelait l’écriture diariste. Mais, à présent, le journal politique doit faire place à une analyse plus générale. Il est encore bien tôt pour faire un bilan exhaustif du mouvement mais il est nécessaire de prendre du recul pour embrasser du regard l’ensemble du champ de bataille.
Une nouvelle période s’ouvre sur un échec ponctuel infligé au gouvernement français. L’extension de mouvements de cette nature à l’Europe est probable. Un regain de libertés souffle depuis la Méditerranée.
Le « système », le néo-libéralisme, s’attend à la dépression de la récession et à la tempête structurelle des GAFA.
Au-dessus, la jeunesse, la prime jeunesse, nous pousse à ne pas la décevoir.

***


Mercredi 13 mars

Vendredi s’annonce déjà comme un tournant dans la situation algérienne.
Le peuple algérien ne se laissera pas confisquer sa première victoire. Une levée en masse pacifique et résolue a obligé le régime à griller une cartouche.
J’insiste sur ce point car tous les commentateurs politiques sont rapidement passés aux manœuvres du système comme s’il fallait minimiser au maximum l’énorme mobilisation du peuple. Besancenot parle de « la victoire du nombre » et il a raison.

Depuis, les jeunes se réunissent, discutent, s’organisent ou rejoignent des organisations de quartier. « On se croirait revenus en 1962 » dit un vieil algérois. En effet, les vainqueurs de la guerre de libération étaient jeunes alors et s’ils portent encore les mêmes noms, ils n’avaient rien à voir avec les vieillards cacochymes, avares et brutaux qu’ils sont devenus, même si le ver était déjà dans le fruit.
Place Maurice Audin, des milliers de post-it ont été collés sur les murs, gigantesque boîte à idées démocratique. La police en civil a dévasté ce « work in progress » multicolore la nuit venue mais, sans aucun doute, au jour, en pleine lumière, l’espoir, l’imagination, le désir reconquerront la place.
Dans les corporations qui sont descendues dans la rue, les assemblées se réunissent et s‘enhardissent.
Bien sûr, le « système » est toujours en place et manœuvre en reculant. Toutes les chancelleries occidentales, toutes les royautés, les émirats arabes l’observent, le conseillent sans doute aussi, étreintes qu’elles sont par la peur des populations se dressant en peuple.

Bouteflika ne se représente pas. Les élections sont reportées sine die. La situation est gelée. Jusqu’à quand ? Vendredi ?
Une conférence « inclusive » doit se tenir… un jour. Il s’agit de faire revenir dans le jeu les oppositions « officielles » pour tenter le retour du théâtre des divisions politiques dont le peuple ne veut plus. Louisa Hanoune, cheffe du PT (je sais, mon ami du POID), Louisa Hanoune, donc, a déclaré qu’elle avait appelé au retrait de Bouteflika et à la manifestation car elle avait peur du « pire ». Qu’est-ce que le pire pour Louisa Hanoune ? Que le système s’écroule ?
Le peuple dans la rue, lui, veut la fin du « système ».
Vendredi, il le dira haut et fort et toujours pacifiquement, en évitant si possible les provocations des obligés du « système ».

A Paris, aussi ce week-end sera un tournant.
Jusqu’à présent, les annonces de Castaner sur le nombre de manifestants déclenchaient colère ou hilarité ? Mais le mouvement était là avec son aspect changeant, ses variations de coefficients de marée, de lieux, ses surprises et c’était ce qui importait ; un mouvement qui dure, un socle populaire inébranlable malgré les humeurs de la petite bourgeoisie marchande et intellectuelle (c’est souvent la même chose) et malgré, bien sûr, l’acharnement des milices de Castaner.
Mais ce week-end, une montée à Paris est programmée.
Acte XVIII ou saison 2.
Et la « force du nombre » sera un enjeu.

Vendredi, la grève pour le climat donnera le ton. (Blanquer, le ministre de la société civile et néanmoins réactionnaire flamboyant, organise des réunions sur le climat, dans les lycées, ce même jour !)
Samedi : de nombreux points de rendez-vous circulent.
La manifestation pour le climat devrait accueillir de nombreux gilets jaunes. Ce sera sans doute là la plus grosse manifestation. Ailleurs, des organisations héleront des gilets jaunes pour un moment de convergence.
Les gares seront des endroits stratégiques ; des attaques policières sont à prévoir comme sont à prévoir des arrestations préventives en province ou durant le voyage.
La conjonction de la fin du grand débat, de la grève et de la manifestation pour le climat et de l’appel à une montée à Paris ne peut faire de cet Acte XVIII un Acte, j’allais dire, banal.
La diversité des sujets de colère ne doit pas faire oublier que ce qui a fait la force des gilets jaunes c’est « Macron démission » comme mot d’ordre rassembleur.
Lorsque l’on annonce : « Acte 18 –ultimatum- La France entière à Paris », on prend des risques.
La « victoire du nombre » se doit d’être au rendez-vous.

***

Lundi 11 mars

Pour un journal, un dos bloqué, c’est une faille temporelle.
Le principe du jeu, c’est l’instantané. Il est difficile de revenir sur une actualité passée.
Toutefois, le cadre politique peut changer en très peu de temps. Si l’on admet cette idée et bien que ce journal concerne l’évolution du mouvement des gilets jaunes dans le contexte français, la situation algérienne est en train d’en changer la donne.

Hier, le président Bouteflika est rentré en Algérie. L’avion est arrivé sur un aéroport militaire. Personne n’a vu le corps. Mais le mouvement algérien rentre dans une autre phase.

Vendredi dernier, plusieurs millions d’Algériens sont descendus dans les rues. Une marée humaine pacifique et joyeuse. Beaucoup de jeunes et beaucoup de femmes. Plus de la moitié du corps électoral (un expert). Cette masse rend impossible les manœuvres électorales habituelles. La poursuite du processus électoral est devenue impensable. Le régime gagne du temps mais l’avion est revenu de Genève.

Une banderole tenue par des étudiants s’adresse aux hiérarques du régime : « Nous vous connaissons. Vous ne nous connaissez pas. »
Le régime, le « système », est parfaitement décrypté dans son fonctionnement par la population de plus en plus éduquée. Dans le silence imposé par le régime autoritaire, celle-ci, devenue invisible, souffrait en silence mais la crise économique et le système prébendier ont accéléré le processus de conscientisation. Dans le même temps, les jeunes se connectaient, se fabriquaient des réseaux, échangeaient sous les radars gouvernementaux. Des paraboles, ils sont passés à internet.
Ce slogan n’est pas une menace, c’est un constat.
Pour pouvoir exprimer aussi clairement et son état de conscience, et son refus du régime, il a fallu briser « le mur de la peur ». Ce que nous montrent les réseaux sociaux, ce sont les cortèges des villes, des grandes villes du nord. Or, c’est dans les villes du Sud, plus petites et plus sévèrement contrôlées que le refus du V° mandat s’est d’abord exprimé. A Alger, ce sont des femmes qui se sont exprimées les premières.
Ensuite ce fut le déferlement, les occupations des Universités et depuis hier, la grève générale qui s’étend malgré le syndicat UGTA, un des piliers du pouvoir.
C’est donc du cœur même de la population la plus contrôlée, la plus aliénée qu’a surgi la révolte première qui a brisé définitivement le couvercle de la dictature.

Bien sûr, toutes proportions gardées, on ne peut s’empêcher de penser au surgissement de la révolte des gilets jaunes. C’est de la France invisible, des territoires oubliés, des campagnes ravagées qu’a démarré la vague jaune. Mais la France est divisée profondément et le barrage monté autour de la petite bourgeoisie supérieure, urbaine et prébendiaire n’a pas cédé. Pas encore ?

Dans les grandes manifestations algériennes, seul le drapeau algérien est admis (quelques étendards palestiniens aussi). Aucun signe partidaire, aucun appel de groupes ou d’organisations n’est toléré. C’est souvent tacite mais c’est unanime. Ainsi, les partis d’oppositions comme le PT sont priés de s’abstenir. « Nous vous connaissons. »
Ce sont des manifestations citoyennes et les références communes sont celles de la guerre d’indépendance et de la fondation d’une nouvelle Algérie démocratique.

Là encore, ce refus des organisations politiques, corrompues directement ou compromises par des lustres d’oppositions vaines, fait écho à ce même refus de la part des gilets jaunes. Ce rejet est le gage nécessaire pour devenir un mouvement populaire.
Nous commençons à voir apparaître des éléments comparables dans toutes les révoltes qui affrontent le système néo-libéral, quelles que soient les formes de domination.

L’onde de choc du mouvement des gilets jaunes a été ressentie au delà de la France, a trouvé des relais dans la presse étrangère et a ému à l’ONU. Mais ce n’est pas comparable avec la terreur provoquée dans les chancelleries par le soulèvement pacifique algérien. Les émirats, les républiques arabes voient revenir le spectre des révolutions de 2011 avec, cette fois-ci, l’impossibilité de recourir à la réaction religieuse. Le 4° mandat de Bouteflika était passé avec la peur du retour à la guerre civile. La tragédie syrienne a souvent été opposée aux mouvements d’émancipation dans le monde arabe. Le terrorisme, l’islam politique ont parfait le mur de la peur.
Le peuple algérien a changé la donne politique dans le monde arabe.
La peur a changé de camp.
Les effets de ce changement se font déjà fait sentir dans la diaspora. Des milliers d’Algériens et de binationaux ont manifesté à Marseille et à Paris. Certains parlent de rentrer au pays et, à Alger, après avoir dit à Bouteflika : « Tu pars ou je pars », on proclame désormais : « J’ai toutes les raisons de rester. »
En France, le Quai d’Orsay se terre, les partis d’extrême droite ont perdu leur argument principal et les politiques indigénistes souffrent le martyr.

En France, ce week-end, c’était l’Acte XVII.
Dès vendredi, le ton était donné. Le sit-in écologique du Champs de Mars a été nassé et promptement expulsé.
Samedi, lors des manifestations en province et à Paris, on a vu se répéter l’usage disproportionné de la force brutale, les visées volontaires de LBD, les matraquages sadiques. Mais, sans revenir éternellement sur les annonces effrontées de Castaner, il faut bien admettre que ce sont les basses eaux.
Les raisons de cette décrue sont multiples.
Des raisons conjoncturelles sans valeur politique comme les vacances scolaires dans la zone parisienne.
Des raisons avancées par la propagande macronienne comme la réussite du GRANDEBA ? Absurde, car au delà des chiffres, si c’était un succès, il faudrait rapidement en faire connaître les résultats, or Macron se montre incapable de conclure et déclare vouloir continuer.
Des raisons sans doute plus profondes et plus politiques.
Le 8 mars, c’était la journée du droit des femmes. Journée importante. Mais à cette occasion, de manière plus nette que précédemment, on a vu le retour de la politique. Non pas du politique mais de la politique partisane. Ce retour d’une parole politique formatée, militante et rigide était observable depuis quelques temps. Ce n’est pas le signe d’une opération de récupération du mouvement (qui le pourrait ?), mais c’est le signe que la force et le vacarme des gilets jaunes ne couvrent plus le murmure des politiques. Et c’est en même temps que réapparaissent le concept de convergence et les gilets multicolores. Le mouvement change de nature. De mouvement populaire, il rétrograde à mouvement revendicatif.
L’appel des chercheurs : « Nous rejoignons les gilets jaunes avec nos spécificités et nos combats » n’a pas été entendu ou sciemment ignoré par les professionnels syndicaux et politiques.
Ce n’est pas non plus un retour des politiques, l’effondrement des partis se poursuit dans les sondages et les militants ressassent leurs invariants programmatiques.

« _Il faut une constituante (Mélenchon, Hanoune etc.)
_ Oui mais sans toi. »
Il ne suffit pas de donner des « conseils » au peuple, il faut aussi l’écouter et apprendre modestement.

Les différents regroupements de gilets jaunes ont dû percevoir ce phénomène car, pour la semaine prochaine, ils ne parlent pas d’Acte XVIII mais de saison II.
En effet, il faut changer de braquet, rapprocher le mouvement de la grève pour le climat, rejoindre les jeunes en lutte pour la planète.
Le mouvement doit devenir une référence politique en refusant la politique et ses dérives électorales, en s’inscrivant dans un large et durable combat émancipateur et donc écologique. Il faut retrouver la force d’offrir une autre vision du monde.

Un mouvement d’une telle ampleur gagne toujours sur un point. Comme disent les Algériens : « Nous te connaissons, tu ne nous connais pas ! »
Les gilets jaunes ont démasqué définitivement Macron, sa secte, son dogme, ses gardes suisses et ses « idiots utiles. »
Il n’est pas question ici de faire la liste de toutes les mesures néolibérales prises par le gouvernement. Mais on peut retenir la dernière en date comme symbolique. Devant la levée de boucliers contre la limitation des indemnités prud’homales, la ministre du travail a procédé par circulaire.

Macron et Philippe se sont rencontrés en 2012 en devenant Young Leaders de la French American Foundation. Pas un club de polo, un club politique qui recrute les leaders français en devenir pour le compte du néolibéralisme américain.
Romaric Gaudin de Mediapart écrit à ce sujet, le 6 mars :
« Si l’on voulait une confirmation que le gouvernement n’entend pas changer de cap sur le plan économique, Édouard Philippe s’en est chargé ce mardi 5 mars à l’occasion des dix ans de l’Autorité de la concurrence. Dans son discours, le chef du gouvernement a, par petites touches, défini les contours de sa vision économique. Débutant et achevant son intervention par des citations du père du néolibéralisme, Friedrich Von Hayek, Édouard Philippe a précisé que le texte fondateur de ce dernier, La Route de la servitude, avait « façonné et transformé sa façon de voir le monde ».
Comme chacun le sait, le prolongement de cette pensée servira de socle à l’École de Chicago. Et c’est de cette école que sortiront, entre autres, les responsables de la politique économique de Pinochet.
Ironie tragique, c’est Michèle Bachelet (secrétaire de l’ONU chargée des Droits de l’Homme et bien sûr ancienne présidente du Chili, victime et fille de victime de la dictature) qui interpelle aujourd’hui la France sur sa politique répressive.
La presse étrangère et plus particulièrement anglo saxonne insiste sur l’aspect autoritaire de Macron.
Les Gilets jaunes ont montré à tous que ce président, qui a profité des circonstances pour se faire élire avec un faible nombre de suffrages, n’est pas qu’un opportuniste ; c’est un dogmatique, un néolibéral sectaire, méprisant et borné.
De fait, les lignes de partages s’éclairent. Débats, redébats, lettre aux européens, discours de campagne, élections… l’ennemi est clairement identifié.
Remercions les gilets jaunes.
Pour répondre à la radicalité de Macron, les discours « radicaux » ne servent à rien. Il faut retrouver la force du nombre et le retour du politique.
Il faut offrir une autre vision du monde.
Que vienne la SAISON II.

Breaking News 18h30 :

« Abdelaziz Bouteflika renonce à briguer un cinquième mandat et annonce le report de l’élection présidentielle. »

Considérable succès.

***

Lundi 4 mars

L’Acte XVI a eu lieu et cela s’est vu.

Les gilets jaunes sont moins nombreux que lors de l’Acte XV mais plus que lors de l’Acte XIV. Le mouvement n’en finit pas de finir. Aucun discours, aucune déclaration, aucune menace, ne peuvent y mettre fin et même si le soutien des français s’effrite, le socle reste solide.
De fait, la société française est maintenant durablement divisée en deux : une partie soutient les gilets jaunes et leur élan vers plus d’égalité et plus de démocratie et une autre s’y oppose au nom de l’ordre, du conformisme et du profit.
Cette division recoupe très grossièrement la division en classes si l’on tient compte de l’évolution de la division du travail sous le néolibéralisme. On pourrait adopter insider/outsider mais ce ne serait guère précis ou dominé/dominant mais ce serait faire fi des notions d’aliénation et de conscience. Ce qui est évident, c’est qu’une notion aussi sécable que celle de salariat ne rend pas compte des mouvements internes de la société capitaliste.
Cette césure de la société est considérable et durable. Elle doit être précisée toujours et encore car c’est une donnée nouvelle. Les approches sociologiques au bazooka (société périphérique, ruralité, territoires laissés pour compte etc.) ne nous aident guère. Un mouvement s’est constitué et une conscience propre commence à se former. C’est d’ailleurs sur ce point que la bataille idéologique est menée par les canaux pro gouvernementaux : « Regardez, Drouet, Nicolle… des complotistes, des ignares, des fascisants, des racistes, des antisémites etc. » Il faut absolument déconsidérer les figures du mouvement.
Ce n’est pas que les défenseurs de la forme actuelle de gouvernance ne voient pas que le mouvement se refuse à être réduit à la figure d’un chef, c’est qu’ils se refusent à l’accepter. D’ailleurs, le refus de déléguer, de présenter un candidat est constant malgré les pressions considérables exercées sur les figures repérées. Ceux qui cèdent à cette pression explosent dans l’heure. Non, le mode de pensée des gilets jaunes est radicalement opposé à celui des thuriféraires de Macron, de Le Pen et des différents barons de la politique traditionnelle.
Cette conscience s’exprime plus par des actes que par des mots. Leur langage est abrupt, caillouteux, gorgé d’affects et ne peut s’offrir ces longues périodes oratoires apprises dans les anti chambres du pouvoir. Autant, le discours des dominants est construit sur une rationalité justifiée par leur position, autant le discours des dominés qui relèvent la tête est direct, brut et affectif. Les gilets jaunes savent que la « rationalité » est un piège tendu à tous les exclus du profit pécuniaire ou symbolique. Mais surtout, et c’est le changement fondamental avec la période précédente, toute forme de domination est vécue comme une insulte.

Dans ce combat, la violence policière est légitimée par le pouvoir. Encore des tirs de LBD. Des blessés graves.
Trois séquences montrent crument le vrai visage de la politique de Castaner.
Un couple de retraités est jeté à terre et frappé.
Un handicapé en fauteuil roulant est gazé.
Un manifestant est bastonné à l’oreille au moment où il s’en allait. Ce dernier, député LFI, s’adresse légitimement aux autorités et lui revient un tweet ahurissant du préfet qui dit en substance qu’il n’avait pas à être là. Les fonctionnaires hors classe directement au service du pouvoir se permettent maintenant de dire aux élus de la République ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire. C’est inédit. La post démocratie macronienne prend de plus en plus les atours d’une vulgaire dictature.

L’Acte XVII est en préparation. Il aura lieu en liaison avec la journée de la femme.

Notre président commence sa tournée européenne avant même que son parti n’ait choisi un candidat pour les élections. Choix difficile au vu de la grande classe des impétrants.
C’est encore une fuite en avant.
Comme est une fuite en avant, l’annonce de cette nouvelle usine à gaz toxiques qui doit prendre la suite des Grandéba. Des conférences régionales, des conférences avec les « corps intermédiaires », des conférences avec les assemblées dont l’importantissime CESE…
Macron avait pourtant dit qu’il ne changerait pas de politique. Les gilets jaunes avaient bien compris cela. Ces annonces ne sont plus là pour gagner du temps mais bien pour arrêter les horloges !

Innombrable, innombrable, la masse des algériens dans les rues du pays, hier. A Paris, plus de six mille personnes se sont rassemblées à la République. Tous refusent un cinquième mandat de Bouteflika.
Comme pour les gilets jaunes, le point de non retour est atteint ; les décisions du pouvoir sont des insultes. Le mot respect est sur toutes les lèvres.
Jusqu’au soir, les algériens ont espéré un sursaut de raison. Mais le responsable de sa campagne a bien déposé la candidature de Bouteflika qui est bien en peine de le faire lui-même. La nuit ne fut que cris et manifestations. L’épreuve de force est engagée.
Manœuvre qui se pensait subtile (ou désespérée) : une conférence nationale se réunira dès l’élection terminée pour envisager une élection anticipée sans Bouteflika. Une première fois déjà, Bouteflika avait dit (il pouvait encore parler, à l’époque) qu’il laisserait la place aux jeunes. Cette fois-ci, son entourage avance une conférence nationale. Il semblerait que cet avatar du Grandéba, soit devenu un must dans les think tanks néolibéraux. Mais Algériens comme Gilets Jaunes ont repéré le piège. Formulons le clairement : un état fort (V république ou junte militaire) se propose d’organiser de larges espaces de réunions avec tout le monde (c’est mieux pour contrôler) afin d’envisager des changements démocratiques, tout en gardant pouvoir et ligne politique.
En Algérie, sur le papier, c’est assez simple. Quand les factions au pouvoir se seront entendues sur un nom, il y aura des élections anticipées. Et Bouteflika mourra, avant ou après, peu importe. De toute manière, comme pour Franco avant lui, ce n’est pas lui qui décidera de l’heure de sa mort.
Cependant, rien ne dit que cette dernière insulte au peuple et à la raison passe facilement. Grève générale, manifestations monstres sont prévues cette semaine. Quelle sera l’attitude de l’armée et de la police face à cette levée en masse ? C’est la question de la semaine ?

« Madame la France, complice » ce slogan a été entendu dans les rues d’Alger.
Macron est plus qu’attentif à la situation algérienne.
Heureusement, il a la santé, lui.
Vraiment ? Macron, dans le texte :
« Le moment qui est le nôtre, c’est celui de personnes qui sont sur un volcan. »
« Il y a des gens qui pensent qu’on peut continuer comme des somnambules, ils seront ensevelis ». Camarades psychanalystes, à l’aide !
« J’ai le sens du tragique ». Nous aussi !

***

Vendredi 1°mars

Question : Quel est le dernier chef d’État à avoir rencontré en « tête à tête » Bouteflika ?
Tic Tac, Tic Tac…
Réponse : Emmanuel Macron, O tête de….
Cela en fait le dernier complice de la junte militaire au pouvoir, le dernier chef d’État à avoir joué la farce de la rencontre au sommet avec l’ectoplasme qui sert de paravent aux fractions militaires algériennes.

Ce petit rappel historique prend tout son sens aujourd’hui.
Vendredi dernier, des centaines de milliers d’algériens sont descendus dans la rue pour s’opposer au cinquième mandat annoncé de Bouteflika.
Le peuple demande à être respecté. Il ne veut pas être le complice de cette farce tragique. Il ne veut plus de ce qu’il appelle le « régime ».
« L’Algérie n’est pas un royaume, c’est une république. »
Les journalistes ont manifesté, privé et public confondus, les journalistes des chaînes d’État précisant : « Nous sommes dans le service public pas au service de l’État ».
Les étudiants sont sortis les derniers des campus et ont marché dans les villes par milliers et milliers.
Aujourd’hui, c’est une marée humaine composée de femmes et d’hommes de tous âges qui scandent : « Pouvoir assassin » devant la Police.
En 2012, la junte au pouvoir utilisant chantage à la guerre civile et prébendes avait évité le choc frontal des révolutions arabes. Aujourd’hui, le chantage ne marche plus avec la jeunesse et une héroïne de la révolution comme Djamila Bouhered est acclamée dans la rue. Quant à la rente pétrolière, elle n’est plus ce qu’elle était. La junte le dit, Maduro aussi.
Le cri des révolutions arabes, c’était « dégage ».
Aujourd’hui, ce cri se combine avec la volonté du peuple de prendre en main son destin.

Le complice de la junte algérienne, le comédien qui donna la réplique au zombie, continue sa tournée dans toute la France avec son spectacle « LE GRANDEBA ».
Hier, il se produisait devant un parterre de femmes. L’élément de langage du jour : « Nous non plus, on n’y croyait pas mais le grand débat, ça marche ! »
Mais les figurants sont fatigués, les thèmes usés ; le comédien n’étonne plus. Pourtant, il faut continuer à saturer l’espace public. Et puis, la peur de la fin de la séquence commence à se faire sentir. Comment faire quand la supercherie sautera aux yeux ?
En attentant, Macron, leader autoproclamé du monde progressiste, se fait tailler des croupières, non pas par ces traine-savates de gilets jaunes mais par des gens du monde, de son monde. Nissan et le Japon croquent dans Goshn et Renault ; le gouvernement hollandais soutient KLM et le hub d’Amsterdam ; Ford dit non et même le petit Pepy ose un refus amusé.
Le comédien s’essouffle et son souffleur sombre dans la perplexité.

Demain, Acte XVI
Les manifestations seront nombreuses et les femmes gilets jaunes seront à l’honneur.
Ne parlons plus de convergence, parlons de rencontres, de thèmes communs.
La montée en tension devrait reprendre au moins jusqu’à la rencontre avec les mobilisations pour le climat.
Il faut tenir en un seul mouvement : « Macron n’est pas notre roi » et « People get the power ».
A part ça, comme dirait BHL, « c’est incompréhensible, mon cher. »
Vive l’Algérie et à demain.

***

Mercredi 27 février

Un jour, à la nuit tombée, notre président demanda qu’on lui apporte une tenue décontractée, baroudeur chic, style « sac de riz » de Kouchner pour ceux qui s’en souviennent mais adapté à la ville et à la saison. On lui apporta un blouson de cuir marron glacé et un jean fraîchement repassé. Il garda ses mocassins. Certes, il ressemblait plus à « un minet du drugstore » des années soixante qu’à un éducateur de rue, genre « curé des loubards ». Décalage très provincial.
Notre président sortit par la porte du parc. Il avait rendez-vous avec une équipe du Samu social. La maraude commença. Il ne fut pas difficile de trouver quelques misérables qui cherchaient vainement à s’endormir.
Devant le premier, notre président s’agenouilla. Il tendit l’oreille au malheureux, lui parla doucement genre « Jean Paul II à son assassin ». Il toucha sans doute les écrouelles. Nul doute, notre président avait rejoint la longue lignée des rois thaumaturges. Alléluia !
Soudain, sa photographe officielle surgit de la pénombre. On éclaira la scène. L’appareil crépita.
Nous ne pouvions pas apercevoir Mimie Marchand planquée dans la camionnette.
Les meilleures photos se répandirent rapidement sur le net. Les fidèles retwitèrent en ajoutant à chaque opération des commentaires de plus en plus laudatifs.
Certains commentateurs parlèrent de « coup de com. à la truelle ». D’autres, évoquèrent l’égoïsme de l’altruisme, le narcissisme instrumentalisant la misère.
Louis IX sortait seul dans les rues de Paris, sans gardes ni escorte et même sans son portraitiste officiel.
Notre président ne serait-il pas un saint ?

Lors d’un Grandéba, notre président tomba la veste, roula les manches et tenta la grosse voix :
« Il faut dire que, quand on va le samedi à une manifestation violente, on se rend complice du pire », tournure très alambiquée pour signifier que les manifestations du samedi sont de fait interdites. Macron montre ses muscles mais n’est pas sûr de l’effet produit. Ciotti et ses LR sautent sur l’occasion : « Force est à l’État, t’es pas cap Macron ».
Fort de sa remontée dans les sondages, Macron joue l’épreuve de force. Sans doute pense-t-il avoir surmonté l’obstacle gilets jaunes puisque ses ministres reprennent la marche en avant des contre réformes néolibérales (assurances chômage, retraites etc.).

Il y a incontestablement une accalmie : les médias tentent de changer de sujets, les écoles sont en vacances, les étudiants s’éparpillent hors des campus. Mais cette accalmie peut être aussi l’œil du cyclone. La remontée de Macron dans les sondages est le signe de la remobilisation de la droite. Les camps se radicalisent. L’ouragan va reprendre.
Une pression supplémentaire pèse sur l’Acte XVI. Il faut montrer que les menaces du dompteur ne portent pas et que les manifestations se poursuivent.
Surtout, la fin du Grandéba doit être accueillie par ce que certains gilets jaunes appellent l’Acte final, les 8, 9,10 mars. La logique pousse à l’affrontement. Macron semble si sûr du succès du Grandéba, puisque les médias le claironnent, qu’il en annonce la poursuite. Il faut dire qu’avec une réflexion toujours en cours sur le choix des mots clés des algorithmes, il est prudent de surseoir.
De leur côté, les gilets jaunes continuent leur structuration en assemblées.

Les injonctions sont donc contradictoires.

Castaner, le centurion, doit lancer ses milices armées à l’assaut de ceux qui vont participer à « une manifestation violente » au risque de transformer des manifestants pacifiques en combattants féroces. Mais le Grandéba n’a toujours pas accouché du super referendum, de la formule magique qui abolit les manifestations de la misère. Il faut donc poursuivre.
Du côté des gilets jaunes, le mouvement s’approfondit, résiste à toutes les manœuvres de diversion. L’intérêt n’est pas à l’ « affrontement final » mais à la structuration politique (compréhension commune d’un sujet pas délégations et chefferie) et à l’action concrète.
Dans cette situation tout peut advenir d’autant plus que la classe politique dans son ensemble voudrait revenir à son activité préférée, l’électoralisme.

Macron le va-t’en guerre a été rappelé à l’ordre par le Conseil de l’Europe. La raison : les violences policières, l’utilisation d’armes de guerre (LBD), les arrestations arbitraires, les garde à vue à rallonge, une législation liberticide. Et dire qu’il y a un an ce même Macron, fort de sa si subtile opposition populisme/progressisme, se voyait en sauveur suprême. Quelle déchéance !

Sinon, Benalla et Crasse sortent de détention et retournent à leurs activités avec interdiction de se rencontrer. Ce n’est plus nécessaire, une heure dans la même cellule au Palais a dû leur suffire amplement pour s’accorder sur l’essentiel.

Sinon, hier, un textile a été agité devant une religion ou l’inverse. La diversion repartait, camp retranché contre camp retranché, quand Décathlon s’aperçut que c’était un risque pour ses affaires. L’hijab de running est sorti des rayons mais il est toujours disponible sur internet. L’industrie du running n’en souffrira pas.
Pendant ce temps les gilets jaunes courent. Ils courent au travail et après le travail. Ils courent pour faire leurs courses à l’hypermarché, pour aller chercher les enfants à l’école. Ils courent après les fins de mois, les vide- greniers, les soldes et les liquidations. Ils courent, ils courent…ils n’ont pas le temps de runner, hijab ou pas.

***

Dimanche 24 février

Titre du Parisien de samedi matin : « A bout de souffle », et ce n’est pas une référence à Jean-Luc Godard. D’autres médias prédisent l’essoufflement du mouvement. Très intéressantes, ces métaphores respiratoires. C’est sans doute que le gouvernement manque un peu d’air en ce moment.

L’Acte XV a réuni à Paris et en province plus de monde encore que l’Acte précédent.
Les gilets jaunes ont respiré à plein poumon les gaz lacrymogènes, se sont fait matraquer ou viser comme des lapins. Mais ils sont toujours là et n’ont pas l’intention de s’arrêter.
Pourtant, ce sont les vacances (Comment, Marie-Caroline, ces gens ne vont même pas au ski ? ironisait mon ami Fabrice).
Pourtant toutes les petites boutiques politiques qui espèrent encore un strapontin aux européennes appellent au retour au calme (à l’exception de LFI qui le paie par une dégringolade dans les sondages).
Pourtant les médias.
Pourtant le tourisme.
Pourtant le PIB…

A Venise, quelques jours par an, les citoyens mettaient un masque. Ils devenaient égaux et tout était permis. C’était le Carnaval, le monde à l’envers. Je ne parle pas du carnaval actuel, touristique et mercantile. Je parle d’une soupape de sécurité, d’une respiration organisée dans une société hiérarchisée à l’extrême, d’un grand Charivari, d’une catharsis généralisée.
A la fin du XVIII° siècle, le carnaval était presque devenu permanent. Le retour à la vie ordinaire devenait impossible. Cela se termina par la chute de la république des Doges.
Certes, les gilets jaunes n’avancent pas masqués mais, quand ils enfilent leur gilet, ils deviennent égaux. Ils deviennent les porte-paroles d’eux-mêmes et réitèrent leurs revendications.
« Quelles revendications ? Ce n’est pas clair ! »
Les éditorialistes feraient-ils dans le comique de répétition ? Tout est public et cohérent depuis belle lurette.
Ce sentiment de liberté, d’égalité ressenti dans les cortèges rend impossible tout retour à la vie d’avant simplement parce que ce serait l’ordre des choses.
C’était à Venise, c’est en France.

Notre Doge n’a plus que la milice sérénissime (le DAR) pour se protéger. Il doit aussi donner le change et battre le record de Hollande et de Chirac au Salon de l’agriculture.
Extrait d’une discussion ou plutôt d’une tirade présidentielle :
« Nous avons la meilleure viande du monde. Mais, le problème, c’est le goût. Vous, la filière, vous n’avez pas investi dans la maturation et vous demandez tout au gouvernement. » Macron, tablier de boucher noué en queue de cochon, ne peut s’empêcher de rejeter la faute sur les autres. Ah, si vous étiez moins cons !!!
Ce type de discours est répété à l’envi tout le long du Grandéba à un public de courtisans qui acquiescent niaisement. Les contributions proposant des solutions alternatives ne passeront pas l’épreuve de l’algorithme de toutes façons.
Le Grandéba est un exercice de soumission. Les gilets jaunes ne veulent pas se soumettre.
Il y aura un acte XVI.

Deux vidéos et une question.
Castaner apparaît dans une vidéo où, maître d’école, il fait la leçon à une classe d’enfants de niveau CM. De quoi parle-t-il à ces enfants ? Des gilets jaunes, de la violence et de la haine.
Dessins au tableau à l’appui, il montre les parties du corps que les policiers ont le droit de viser avec leur LBD. Il dit aussi, badin, que des erreurs peuvent se produire. Il n’en détaillera pas les effets.
Voilà l’école de la Confiance, confiance obligatoire dans la parole gouvernementale. Voilà, l’esprit critique Blanquer. La propagande Macron. Certains enfants n’en mènent pas large. Grotesque et glaçant !

Une autre vidéo montre un bacqueux viser à la tête un gilet jaune paisible dans un groupe pacifique. Réflexe ou consigne, il se retourne avant de tirer et aperçoit une caméra. Il baisse son arme et passe son chemin. Tout est calme.
De plus en plus de gendarmes ou de CRS républicains dénoncent ces consignes qui se résument à celle d’une cour de récré : « Pas se faire pécho ». Honteux !

Une question dans les dîners : l’affaire Benalla, affaire d’État ou dérive personnelle ? S’en suit toute une série de faits et d‘arguments : le 1°mai, les vidéos, le coffre fort, les passeports, les contrats, les enregistrements, la préventive etc. etc.
Un seul argument et nous savons que l’affaire Benalla est une affaire d’État : l’énergie déployée après les conclusions sans appel du sénat, par le premier ministre, la ministre de la justice et les marcheurs pour défendre le protégé du chef qu’il doivent tous cordialement détester.
Le Doge se défend et défend son âme damnée.

Un mot du dîner du CRIF qui devait être l’acmé de la séquence gilets-jaunes-antisémites.
Macron est revenu sur l’antisionisme qui serait la forme nouvelle prise par l’antisémitisme mais il ne changera pas la loi. En même temps !
Relisons la lettre ouverte à Macron de Shlomo Sand parue en juillet 2017. Tout y est dit.

L’acte XVI aura lieu.
La partie visible du mouvement, ce seront encore les cortèges et les manifestations. Mais de plus en plus d’Assemblées générales se réunissent ; dans les banlieues, de plus en plus de femmes, de mères de famille participent et racontent leur quotidien.
C’est l’ancrage en profondeur du mouvement. Les manifestations : un aller et retour Grigny Paris, c’est 10 euros ! Trop cher !

En attendant, nous regarderons la montée des gilets jaunes en Europe, en Israël (Bibi, dégage !) et nous suivrons avec attention l’explosion populaire en Algérie et ses conséquences.

A ce jour, l’épidémie gilets jaunes, symbole de la radicalité, s’est répandue dans 22 pays dans le monde.

***


Mercredi 20 février

Delphine Horvilier, théologienne et rabbine, a déclaré :
« L’antisémitisme dit surtout quelque chose de celui qui l’énonce ».
Enfin une intellectuelle qui n’essentialise pas à priori le concept d’antisémitisme. C’est rassurant en ces temps troubles où les écrits ou les déclarations d’intellectuel(le)s honnêtes se font rares. Elle poursuit en disant que les gilets jaunes devraient s’interroger sur la présence d’antisémites dans les manifestations. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait puisque l’islamiste arrêté après l’affaire Finkielkraut avait été expulsé depuis longtemps de son rond point en Alsace.

« Depuis plusieurs jours, le gouvernement et ses amis des médias nationaux semblent avoir trouvé une nouvelle technique de déstabilisation de l’opinion publique et de décrédibilisation du mouvement des Gilets jaunes.
Faire peur au peuple et créer de la crainte et des divisions semble être toujours une bonne technique…
En effet, tous les acteurs du gouvernement en place organisent et mettent en scène des discours et des actes visant à prouver que l’ensemble des citoyens mobilisés partout en France sont racistes et xénophobes.
Nous dénonçons les accusations et manipulations à l’œuvre mises en place par ce gouvernement adepte des fake news et de leurs amis des grands médias nationaux. Quand le porte parole du gouvernement annonce une inscription honteuse sur une vitrine alors que le propriétaire lui même explique que cela n’a pas du tout été réalisé pendant la manifestation. Même chose pour les portraits de Simone Weil profanés…
Nous dénonçons le terrorisme intellectuel qui est à l’œuvre de la part des médias télévisuels alors même qu’il est largement prouvé que les soi-disant actes racistes et antisémites ne sont nullement menés par des citoyens engagés Gilets Jaunes.
Nous exigeons que prennent fin les mises en scènes menées par le gouvernement et les médias avec l’appui des principaux groupes politiques vendus au pouvoir de l’argent, du capital et de leurs inestimables avantages.
Nous accusons un gouvernement aux abois qui ne sait plus comment se dépêtrer de ses affaires nauséabondes de mettre en œuvre une véritable campagne de communication sur fond de peur et de défiance de l’autre.
Il ne vous suffit pas, monsieur Macron, de mener une campagne électorale sur les fonds publics, maintenant, c’est en induisant la peur et la haine que vous tentez de mener la censure et de récupérer des audiences positives ?
Ne vous y trompez pas, Monsieur le Président, et Messieurs les propriétaires des grands groupes de presse, les Français ne sont plus des moutons que l’on peut continuer à manipuler impunément.
Nous sommes profondément humanistes et non partisans de telle ou telle religion, de tel ou tel courant de pensée.
Nous sommes pour l’amitié entre les peuples et le respect de chacun ».

Communiqué du 19/02 /2019 de La France en colère, édité par Maxime Nicolle alias Fly Rider.

Je n’en dirai pas davantage sur ce « rassemblement contre l’antisémitisme ». Nous avons tous vu le nombre de participants, l’apartheid entre le carré VIP et les participants lambda.
Juste quelques questions :
Qui sont-ils ces partis politiques qui cherchent à se sauver en se serrant les coudes au prétexte d’un antisémitisme certes bien réel mais complexe ?
De quel droit, du haut de quel magistère moral, nous parlent-ils ?

L’instrumentalisation pue. Le procès fait à LFI est ignoble (pourtant LFI n’est pas pour moi un vecteur d’émancipation) et ce n’était pas la peine d’apparaître hier, même de manière critique.
Le rapprochement avec la manifestation organisée après l’attentat de Charlie Hebdo est odieux. (« Je suis Finkielkraut » : ils n’ont quand même pas osé).
Tout compte fait, j’aurai dû en rester à mon idée première et arrêter ces réflexions après le communiqué de Fly Rider. Tout cela est trop vulgaire et trop prévisible. Des sommets sont atteints.

Puisqu’il est question de morale et d’exemplarité, aujourd’hui : c’est Benalla ! Du lourd, du lourd, du lourd !
Les Pères et Mères « La Morale » ont marché dans une belle flaque mais il ne faut pas s’en réjouir car lorsque le respect et la vérité sont à ce point bafoués, c’est la porte ouverte à toutes les ignominies.
Le magistère moral du gouvernement ???

***

Mardi 12 février

L’Acte XIII est passé.
Comme la marée, les gilets jaunes sont là tous les samedis. Le coefficient change suivant les semaines mais le phénomène se reproduit inexorablement, toujours soutenu par une majorité de français.
Le nombre de manifestants dépend largement de la tactique employée par le gouvernement. Beaucoup d’observateurs ont remarqué des changements dans la composition des manifestations depuis l’Acte I : plus aucun enfant, beaucoup moins de femmes, de moins en moins de vieux. La politique répressive de Castaner a sélectionné les manifestants et c’est ensuite lui qui ose déclarer qu’il n’a plus affaire qu’à des groupes violents. Rhétorique fine comme celle d’un baudet provençal mais efficace auprès de son auditoire.

La violence, toujours la violence. Une main arrachée, des gilets jaunes tabassés en fin de manifestation. L’objectif recherché est de faire comprendre que venir exprimer ses idées dans la rue comporte un vrai risque de blessure grave, voire davantage. Et si vous prenez le risque malgré tout, il y aura la loi « anti-casseur ».

Le gouvernement a un récit bien troussé immédiatement relayé par les mass media.

1- Les manifestants ne sont plus que des casseurs : la violence d’État est légitime.

2- Les manifestants s’en prennent à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Ce sont des antiparlementaristes et des fascistes, dans la lignée des Ligues des années 1930.
En aucun cas, ils ne protestent contre la loi anti casseur.

3- Des tags antisémites ont été relevés sur des vitrines, sur des affiches ; des actes intolérables se sont produits à Sainte Geneviève des Bois : les manifestants sont antisémites. Certes, Castaner n’accuse pas directement les gilets jaunes des méfaits commis mais tout le monde aura fait le rapprochement.

4- En retransmettant jusqu’à la nausée le GRANDEBA qu’un jeune étudiant, sélectionné pour renvoyer la balle au jongleur, appelle du théâtre, et en n’abordant jamais ni la richesse des discussions des assemblées de gilets jaunes ni l’originalité de leur organisation non hiérarchique, le gouvernement, cherche à accréditer l’idée que c’est dans le GRANDEBA que la parole circule et se structure.

Résumons ce qui ressort de la narration gouvernementale reprise sur les ondes : les gilets jaunes ou plutôt, ce qu’il en reste, sont violents, fascistes, antisémites, analphabètes et incapables de penser dans un cadre ordonné.
On retrouve là un écho de ce que les bourgeois des siècles derniers nommaient les classes dangereuses qu’ils qualifiaient de sales, incultes et alcooliques. Tiens, pas de référence à une foule alcoolisée aujourd’hui ! C’est sans doute interdit par le ministre de l’agriculture en pleine campagne publicitaire pour le vin qui n’est pas un alcool (sic).

Le problème c’est que de plus en plus de collectifs (recherche, enseignants bretons etc.) rejoignent les gilets jaunes ; de plus en plus d’études sérieuses sont publiées qui rendent caduque la narration gouvernementale. Mais, il faut bien comprendre que Macron est dans une lutte à mort et qu’il n’a que faire de la vérité, que faire de convaincre le « peuple ». Il veut vaincre.
Quand je parle ci-dessus d’études sérieuses, nous pouvons nous appuyer sur ces travaux pour comprendre comment s’est construite une pensée autonome et riche dans le mouvement des gilets jaunes et comment celle-ci pourrait se diffuser, s’élargir à d’autres couches et à d’autres territoires, malgré les différences ethno-sociales car aujourd’hui, « seuls les gilets jaunes combinent une conscience politique collective avec l’absence d’une structure pyramidale ».
(Ce qui n’est certes pas le cas ni des structures syndicales, ni des organisations politiques, ni des associations de banlieues.)
C’est l’avancée politique majeure de la « politique expérientielle ».

Certes, les « mormons » du président sont au cœur de la tourmente Benalla. Ismaël Emelin a démissionné hier, Sylvain Fort l’avait précédé. Mais cela ne peut pas affecter la détermination de Macron à combattre frontalement la révolte des gilets jaunes car il est jugé en Europe et dans le monde sur cette unique question. Pendant cette crise, les réformes néolibérales continuent d’avancer et de modeler une société irrespirable pour les couches inférieures (mesures de l’état d’urgence inscrites dans la loi, loi anti- casseur, loi de « confiance » la plus ouvertement réactionnaire depuis des lustres).
Le système néolibéral continue son déploiement.

Le combat des gilets jaunes ne met en péril Macron et sa politique que s’ils restent sur le terrain politique : « Dehors Macron ». Le danger serait d’abandonner la perspective de la destitution du président pour privilégier des amorces réformistes. Les gilets jaunes perdraient alors la main.
Toni Negri le précisait justement : ce type de mouvement a pour vocation l’abolition du pouvoir existant.
Or, toutes les approches théoriques ont tendance à sauter l’étape, non de la prise du pouvoir, mais de la destruction du pouvoir existant. Ce ne sera qu’ensuite que se poseront les approches de l’ « auto institution de la société ».
La France est un pays centralisé, contrôlé, jusque dans les plus petits villages, par les préfectures. En Inde, une région du Nord Est est contrôlée par des guérilleros maoïstes depuis des dizaines d’années. Aux États-Unis, un état est gouverné par des socialistes. En France, il n’y a pas de « régions libérables ». L’État centralisé est présent partout. Si une équipe municipale voulait s’affranchir des lois et directives préfectorales, le préfet la destituerait immédiatement.
Dans les textes qui circulent, il est souvent fait références aux ZAD, comme lieux d’indépendance, d’innovations démocratiques et d’administration collective. Mais dans ZAD, le focus est mis sur défendre.
La révolution française : c’est la constitution, l’abolition des privilèges etc. mais c’est aussi Valmy pour imposer cette politique et défendre la révolution, Valmy qui est tout aussi important pour l’existence et la cohésion du peuple.

L’assemblée des assemblées va se réunir à nouveau, à Saint Nazaire cette fois. Mais l’appel se concentre sur les formes démocratiques du mouvement mais a comme point aveugle les conditions politiques de la destitution de Macron. C’est une faiblesse que Macron va exploiter en continuant à mettre en place sa politique. Il tient, il frappe, il attend.
La victoire du mouvement n’est plus dans la durée (même si c’est important) ; il est dans la lutte contre la dispersion, contre les discussions sur les réformes qui n’abordent pas la condition de leur mise en œuvre : la destitution de Macron.

Acte XIV : Blocage national. Tous unis.
Unis Pourquoi ?

***

Jeudi 7 Février

Après la « grève générale » du 5 février et avant que Macron ne prenne la tête de nos troupes en franchissant le Grand Saint Bernard, j’aimerais revenir sur quelques points.

A ce jour, 77% des français se retrouvent dans les revendications des Gilets Jaunes. 3 % de plus qu’en janvier. Certes, Macron progresse de manière fulgurante d’après Paris Match, Mimie Marchand et toute la sainte famille.
Mais c’est ce soutien énorme et durable des classes populaires au mouvement qui est inédit et formidable. La construction d’une force politique se fait dans la durée et nous n’en sommes qu’à trois mois du début du mouvement.
Les gesticulations de Macron, les déplacements houleux des ministres en campagne ou les marathons du GRANDEBA font du bruit sur les chaines en continue mais n’impriment pas.

Samedi, ce sera l’Acte XIII.
Bien sûr, aucun record ne sera battu. La caravane de soutien des syndicalistes italiens à Nice sera une attraction.
Le mouvement continue malgré certains échecs.

Dernièrement quelqu’un demandait quel était le dernier recul imposé par les classes populaires à un gouvernement. C’était à l’occasion du CPE. C’était la jeunesse mobilisée et cela fait
Treize ans. Treize ans !!!

Aujourd’hui, de nouvelles couches populaires se sont levées. C’est, entre autre, un effet de la transformation en profondeur de la structure même de l’exploitation et du rejet hors du système d’une part importante de la population.
Un bilan de l’échec de la convergence des luttes ou plutôt de son inefficacité dans le mouvement nécessite une analyse de ce que l’on appelle encore la classe ouvrière. Classe pour soi ce qui renvoie au désastreux bilan de ses organisations, à l’état comateux de ses partis et forcément à une perte de conscience de soi comme sujet. Classe en soi, et il faut reconsidérer les structures de production, aborder les formes nouvelles de la production néolibérale et la révolution numérique.
Certains philosophes, analystes militants, ont depuis vingt ans abordé ces questions : l’individuation, la multitude, la plus value intégrée aux machines, le caractère « liquide » du prolétariat. C’était jusqu’à présent encore bien théorique, même si depuis 2011 des mouvements innovaient. Mais là, sous nos yeux et depuis trois mois, l’aspect théorique se fait narration.
L’histoire nous joue des tours, un sujet arrive à une forme d’obsolescence, un autre se lève. De nouvelles formes de solidarité apparaissent. Marx pensait que le capitalisme devait aller au bout de son cycle. Le néolibéralisme a franchi la frontière mais il n’a pas encore aboli l’histoire.

Samedi Acte XIII. Le moment politique va devenir délicat mais le mouvement peut commencer à atterrir un temps, le socle est solide.

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Mercredi 6 février

Soyons positif.
Hier, un collectif de chercheurs et d’enseignants chercheurs a publié un texte à l’initiative de Samuel Hayat. Environ 300 signataires à ce jour.

« Nous sommes tou•te•s des gilets jaunes

La déflagration « jaune » surgie depuis le mois de novembre partout en France semble maintenant réveiller la peur des populismes dans de nombreuses sphères de la société. Depuis le mois de janvier, des interventions de plus en plus nombreuses nous mettent en garde sur la présence « désormais dominante » de la droite populiste et fascisante au sein du mouvement des « Gilets Jaunes ».
Nous pensons que ces affirmations alarmistes se fondent sur une vision biaisée, qui interprète un mouvement né et développé avec des formes totalement inédites à partir de catégories politiques anciennes et inadéquates pour en saisir la nature. C’est un biais tout aussi important que dangereux, car il a conduit plusieurs intellectuels et observateurs de gauche à écrire, en toute bonne foi, que la critique de la démocratie représentative exprimée par les Gilets Jaunes et leur refus de se structurer comme mouvement en élisant des responsables les positionnait en dehors du champ démocratique. Dans cette veine, d’autres chercheurs ont même cru nécessaire d’enquêter sur le passé informatique des gilets jaunes les plus médiatisés pour traquer leurs agissements passés et démasquer des affiliations secrètes.
Loin d’éclairer le débat, une telle posture empêche de saisir la complexe physionomie d’un mouvement qui a provoqué, par sa force et par la singularité de ses formes d’organisation, une véritable « mue identitaire » chez la plupart de ceux qui l’ont vécu et s’y sont engagés.
Comme cela a été souvent le cas dans l’histoire, il y a un avant et un après à la participation de l’intérieur à un mouvement social de cette ampleur. Si les nombreux intellectuels et observateurs politiques qui s’échinent à traquer les traces d’une affiliation politique « douteuse » dans le passé des gilets jaunes, écoutaient davantage les déclaration de celles et ceux qui manifestent dans les rues et occupent les ronds-points, ils verraient que leurs actions concrètes ne rentrent absolument pas dans les cadres des catégories politiques traditionnelles : elles s’inscrivent en revanche dans un horizon fondamentalement marqué par une demande large, profonde et urgente de justice sociale. Et s’ils prenaient le temps et le courage d’écouter les très nombreux témoignages enregistrés en direct sur les médias alternatifs, ils entendraient à quel point l’éclosion du mouvement a totalement bouleversé la vie de chaque participant, en reconstruisant des liens, en faisant émerger des questions communes au-delà des anciennes positions idéologiques.
Nous sommes conscients du fait que des groupes qui prêchent des paroles de haine sont également présents sur les ronds-points et dans les cortèges. Mais nous savons aussi que, pour le moment, ils ne sont qu’une composante marginale d’une masse qui demande et revendique avant tout dignité et justice sociale. Les enquêtes développées sur le terrain en partenariat actif avec les gilets jaunes par plusieurs groupes d’étudiants et chercheurs ont d’ailleurs montré à quel point la grille de lecture du populisme est radicalement obsolète pour comprendre ce soulèvement. Déclenché sur la base d’une réponse à l’augmentation des prix de l’essence, le mouvement des gilets jaunes a su poser sur l’avant de la scène, une fois de plus, mais sans doute de manière claire et incontestable, toutes les questions fondamentales qui se posent dans une société épuisée par le pillage infligé au cours des quarante dernières années par les politiques néolibérales successives.
Comme nombre de nos concitoyens, nous avons assisté impuissants à ce pillage qui a systématiquement transféré la quasi-totalité de la valeur du travail effectué par des millions d’hommes et femmes vers le marché financier, qui a saccagé les biens communs en les donnant en pâture à sa clientèle, et qui a altéré progressivement mais profondément et sûrement la valeur et la signification mêmes du travail accompli. En tant que femmes et hommes travaillant depuis des années dans les structures de l’enseignement et de la recherche, nous avons à notre façon connu l’impact de ces politiques. L’utilisation de plus en plus massive du travail précaire, la destitution de toute forme d’autonomie de recherche, la centralisation des contrôles sur les projets et les financements de la recherche ont conduit également à une prolétarisation du travail intellectuel, tout en l’assignant bien souvent à un rôle de servile complaisance avec les formes et les demandes du pouvoir politique et économique.
C’est pourquoi nous croyons important d’adhérer à ce mouvement de son intérieur et de participer, avec les femmes et les hommes gilets jaunes, à son ouverture vers une société plus juste : une société qui soit en mesure de garantir à chaque citoyen une juste rémunération pour son travail, l’aide dont il nécessite lorsqu’il est dans le besoin, tout en garantissant la justice sociale ainsi qu’une vraie égalité dans la cité. Nous appelons donc nos collègues à s’organiser et à inventer de nouveaux espaces de luttes et de débat où nous pourrions, non simplement soutenir le mouvement, mais y participer de l’intérieur avec les compétences qui nous sont propres, comme tout autre acteur du champ social.
C’est dans cette optique que nous souscrivons pleinement à l’Appel proposé par l’Assemblée de Commercy les 26 et 27 janvier 2019, que nous appelons nos collègues à participer massivement, avec le plus de publicité possible, à la manifestation du 2 février en hommage aux victimes des violences policières, ainsi qu’à la grève générale interprofessionnelle du 5 février prochain. »

C’est parfait, je n’ai rien à ajouter et je pense que la formulation surlignée en gras est la meilleure jamais écrite à ce jour. C’est un texte d’universitaires mais il peut et doit être adapté à tous les milieux.
Je ne reviens pas sur les critiques concernant les chercheurs. On peut facilement les élargir à presque toutes les organisations.
Il aura fallu trois mois pour atteindre le niveau de conscience exprimé dans le texte.
Le mouvement peut se poursuivre sous des formes diverses. Le niveau d’exigence est élevé mais maintenant il est clair.

Hier, c’était aussi la journée de « grève générale, de blocages et de manifestations ». C’était aussi la convergence des luttes entre le mouvement touvrier (accent tonique sur la liaison) et les gilets jaunes.
Les manifestations ont été assez nombreuses en province mais le nombre de participants correspondait à celui d’une journée d’action de moyenne intensité. D’ailleurs, qu’était-ce d’autre qu’une journée d’action à taches jaunes.
A Paris, le célèbre « cortège de tête » est réapparu devant les ballons. La présence de jeunes, lycéens et étudiants, était visible mais pas massive. La grève qui devait être illimitée est restée en gare.
Les raisonnements du vieux monde sont trompeurs. Si je considère le secteur de l’enseignement par exemple : la fureur contre la politique de Blanquer est à son comble. Des collèges se mettent en grève à propos des moyens attribués. L’idéologie scientiste et autoritaire du personnage révulsent la très grande majorité des enseignants. Ne parlons pas de Parcoursup. Bref, le métier est vécu comme insupportable, les réseaux sociaux surchauffent. Pourtant, la grève est un échec. Le taux de participation dépasse sans doute les 5% annoncés mais, dans un secteur politisé comme celui du premier degré à Paris, les 30% sont difficilement atteints.
Si l’on écoute ce qui se dit sur les réseaux sociaux, on s’aperçoit que la question la plus débattue est celle d’imaginer comment gagner sur les revendications sans faire la sempiternelle grève syndicale. Les points de vue sont divers, les stylos rouges regroupent toutes les contradictions et les militants syndicaux s’arrachent les cheveux. Mais il est toujours et partout question de l’auto organisation. Et ce qui revient le plus souvent c’est la question de savoir s’il faut suivre l’exemple des « gilets jaunes »et se battre avec eux.
Les personnels ont donc compris que la grève était inutile quand elle est appelée par les syndicats et les militants s’étonnent que la « convergence » ne s’opère pas.
Plusieurs blocages ont réunis gilets jaunes et gilets rouges. Mais s’agit-il dans ce cas de la fameuse « convergence » ? J’en doute. C’est juste le fait que dans un endroit donné, sur un sujet commun, les gens concernés se battent ensemble.
D’un point de vue théorique, ce qui se vérifie, c ‘est que la recherche du Commun est une praxis et que cela fonctionne alors que la construction idéologique du type convergence ne règle aucun problème politique. La « convergence des luttes », c’est une dernière tentative du mort pour saisir le vif. La journée d’hier est encore là pour le prouver.
Aujourd’hui, jour 2 de l’illimitation de la grève, la question ne se pose plus. La prochaine journée d’action n’est même pas prévue.

Hier, encore, c’était le jour de l’adoption par l’Assemblée Nationale de la loi « anti-casseur ». Son caractère liberticide horrifie au-delà des cercles habituels des défenseurs des libertés démocratiques. 50 députés LREM se sont « courageusement » abstenus. C’est plus que prévu.
Sans doute serait-il temps de mettre en place une riposte politique contre Macron et ses complices pour leur dérive « illibérale » comme ils disent et contre Castaner et ses milices pour leurs violences volontaires comme hier encore à Paris ou à Bordeaux. Sous une forme large, pas une manifestation croupion comme la dernière fois.

Sauf événement imprévu et Dieu sait que la Macronie est imprévisible à cause de son assemblage hétéroclite de « bras cassés » comme le dit l’ancien conseiller banlieue de Jupiter, le mouvement ne pourra pas continuer sur ce rythme.
L’atterrissage doit être politique. Le niveau de conscience partagé par une large masse d’une nouvelle couche combattante est prodigieux. Un sujet politique est né dans le combat contre le néolibéralisme, et donc mécaniquement, la question du devenir du mouvement ouvrier et de ses « organisations » doit être abordée.
S’il est « important d’adhérer à ce mouvement (gilets jaunes) de son intérieur et de participer » à la lutte commune, la question de son extérieur est posée et le bilan doit être radical pour assainir la réflexion.

***

Lundi 4 février

L’avenir du mouvement amorcé le 17 novembre se joue en partie demain et après demain.
Les gilets jaunes sont-ils en mesure de déclencher un mouvement de grève ?
Les boîtes peuvent-elles profiter de l’élan donné par le mouvement pour se mettre en grève ?
Les fonctionnaires peuvent-ils sortir de la torpeur des défaites ?
Les gilets jaunes auront-ils la force de bloquer à nouveau les autoroutes, les sorties de raffineries et les lieux de circulation du flux des marchandises ?
Il est bien difficile de répondre car nous sommes une nouvelle fois dans l’inédit.
La jeunesse détient peut-être une clé si les lycéens et les étudiants se mobilisent massivement.

Pour le reste, le reste « politique », la confusion demeure.
La poussière d’organisations qui représente aujourd’hui la gauche et l’extrême gauche ont sorti un appel commun dans lequel elles se réjouissent que les gilets jaunes rejoignent la grève (une journée d’action « urgence sociale ») appelée par les syndicats.
Fort bien… mais le 5 n’existera que parce que les gilets jaunes y appellent aussi.
Les organisations appellent à soutenir les revendications du mouvement des gilets jaunes.
Fort bien, car se sont ces revendications qui donnent le sens politique de cette grève.
Les organisations, la multitude de gauche, quelques « personnalités » appellent à la convergence des luttes.

Mais il n’y a qu’une lutte, celle des gilets jaunes !

Lundi dernier, ces organisations (17 des signataires précisément) appelaient à une manifestation contre les violences policières : personne. Dans l’enseignement, mardi, la grève a été un échec.
Pour converger, il faut un but commun. Quel est le but des organisations signataires ? Les gilets jaunes ont produit des revendications et un but politique : Macron démission.

Ce n’est pas une convergence c’est un ralliement.
Et c’est bien ainsi.

Sentant cette confusion, les signataires ont écrit cette phrase magnifique :
« Nous apportons tout notre soutien à cette date ».
Étant un vieux militant, je ne soutiendrai que la première heure !
Soutenez le temps que vous pouvez, mais participer au mouvement !

Le vide politique est sidéral, la poussière d’étoiles ne fera pas, cette fois, une planète. Mais le vide ne demande qu’à être comblé par l’auto-organisation de la population en lutte. L’appel de Commercy prend tout son sens à condition de traverser rapidement et sans encombre le nuage de poussières. Le mouvement vers l’auto organisation, soutenu enfin par des organisations qui ont mis du temps à s’apercevoir que la direction prise était celle d’une lutte à mort contre le néolibéralisme, est porteur de lourdes espérances.

La lutte est difficile. L’oligarchie au pouvoir utilise pleinement, en les tordant et en les outrepassant, toutes les ressources de l’État : la force brute (même si les gendarmes se désolidarisent des méfaits commis par cette sorte de milice en civil) et la force judiciaire avec la tentative de perquisition à Mediapart pour connaître ses sources dans l’affaire Benalla.

Macron, le chantre de la lutte contre l’illibéralisme, n’a plus rien à envier à Orban ou à Savini et enfile les santiags de Trump en politique étrangère.

Beaucoup de choses dépendent de la journée de demain mais le mouvement est bien trop profond pour ne pas se poursuivre.
Les zones démocratiques vont continuer de se développer, sans aucun doute, et le pouvoir, aujourd’hui tendu comme un arc, montre des signes de faiblesse incurables.
La démocratie horizontale avance par couches et le mouvement d’ensemble sape la base de la colonne sur laquelle Macron expose sa grandeur.

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Dimanche 3 février

L’Acte XII a été un succès.
Un cortège chaleureux a parcouru Paris. De visu, le flot qui a descendu le boulevard Beaumarchais fait rentrer cette manifestation par grand froid dans la classe des manifestations importantes.
En province, les manifestations se sont déroulées sous la pluie, le plus souvent. Malgré le siège de la ville par les forces de l’ordre, Valence a eu son étonnante manifestation.
L’hommage aux victimes a été réussi et a fait passer la responsabilité première de la violence dans le camp du gouvernement. Ce n’est pas le clip au montage honteux de violences spectaculaires diffusé par les canaux de la propagande Castaner qui changera la donne. Au contraire.

Bien sûr, nous ne tiendrons pas compte des chiffres diffusés par le ministère de l’intérieur.
A l’exception d’un seul : 10 500, celui de la manifestation parisienne. C’était précisément le chiffre donné pour la manifestation des « foulards rouges ». C’est gros, c’est énorme comme manipulation.
Mais, un sens profond apparaît. Macron invente un peuple virtuel qui concurrence le peuple réel qui se soude autour du mouvement des gilets jaunes. Cette virtualité est aussi à l’œuvre dans le GRANDEBA. Chantal Jouanno en a révélé les travers organisationnels. L’opération se terminera par un référendum ; papier et enveloppes sont commandés et la question sera constitutionnelle, hors du champ des revendications portées par les gilets jaunes.
Le plus préoccupant, c’est bien la représentation obtuse et virtuelle que se fait du peuple le président de la République. C’est dans l’écart entre cette représentation péjorative et l’humanité des gilets jaunes et l’ébauche de communs dans le mouvement que se situe la violence gouvernementale, la politique de contrôle, le glissement vers un régime autoritaire.
Macron n’est sans doute pas fasciste, je veux le croire, mais à cause de son éducation, de son rapport incertain au politique et sans doute de ses difficultés psychiques, il est incapable de s’opposer à la pente naturelle du néolibéralisme. Ce n’est pas Orban ; c’est un idéologue méprisant et rigide.
Cela veut dire qu’une négociation sur les revendications, même après la grève du 5 février, semble impossible. Le scénario plébiscitaire est en marche. Peu de chance qu’il trompe les gilets jaunes mobilisés. A ce propos, ayons une pensée pour la grossière manœuvre de la liste électorale. De Profundis.

Pour conclure la manifestation pacifique parisienne (les tensions entre antifa et Zouaves sont anecdotiques), encore des tirs de LBD et de grenades de désencerclement, encore des blessés, toujours des blessés. Les responsables sont au gouvernement et son bras armé : les DAR, les baqueux et des civils inidentifiables genre Benalla. Ce bras armé, hors des habituels CRS ou gendarmes, ressemble de plus en plus à une milice. Milice qui s’est sans doute soudée lors de descentes dans les quartiers populaires.
Le président de l’UNL, un responsable lycéen, après Jérôme Rodriguès, on est bien obligé de se poser la question des tirs ciblés. Castaner, à quand les drones au dessus des manifs ?
Pourquoi pas ? Les classes dangereuses doivent être traitées comme on traite le terrorisme !
Dans ce combat idéologique, nous voyons resurgir la figure de Raymond Aron, le sage, le rationnel ! Nous croyions qu’elle avait sombré depuis la mort de Raymond Barre et que seule celle de Sartre la maintenait en vie. C’est oublier qu’Aron avait été, en 1938, le secrétaire du Club de Paris qui a jeté les bases du néolibéralisme. Voilà ce que les medias mainstream et nos gouvernants appellent le bon sens.

Une des questions qui parcourait la manifestation parisienne était de savoir si la grève et les blocages appelés, le 5 février, par la France En Colère et les syndicats allaient prendre et pourraient se poursuivre le 6.
Soyons clair, ce n’est certainement pas Martinez qui va se lancer à l’aventure après la reprise de sa journée d’action : « la grève générale, ça n’existe pas ; il faut développer les grèves locales… ». Et Berger va finir par faire plus fort que Notat. Ce qui n’est pas peu dire.
Mais chez les personnels mobilisés dans le mouvement, comme chez les personnels en lutte sur des revendications spécifiques, une même pensée circule : c’est maintenant qu’il faut pousser ; au mois de mai, il sera trop tard.
Un militant enseignant me disait : « Je ne comprends pas bien ce mouvement (il était sûrement marqué par la position virevoltante de sa direction) mais ce dont je suis sûr, c’est qu’on doit y aller maintenant. S’il n’y avait personne à la manifestation du second degré de l’Éducation nationale lundi, c’est normal. Mais les écoles sont prêtes à partir mardi ». C’est aussi ce qui ressort des discussions des Crayons rouges sur Facebook.
Ce n’est pas, comme le proclame le NPA, la rencontre du mouvement des gilets jaunes et du mouvement ouvrier organisé. (Encore faudrait-il s’entendre d’ailleurs, sur le terme « mouvement ouvrier organisé » ; nous y reviendrons).
La manière de penser des militants impliqués réellement c’est qu’ils pensent profiter de la dynamique du mouvement des gilets jaunes pour porter les revendications communes reprises sur la plateforme du 5 et pour avancer leurs demandes catégorielles.
Le mouvement existe parce ce qui le soutient c’est ce refus assumé de continuer à vivre comme maintenant. Des couches plus privilégiées que les gilets jaunes, celles des travailleurs intégrés, le comprennent sans doute plus qu‘elles ne le ressentent intimement. Mais la dynamique est là. Non pas dans la rencontre improbable ou dadaïste d’un mouvement hétérogène en voie de structuration avec un « mouvement ouvrier » réduit aux acquêts. Et surtout, camarades, il est inutile de chercher à faire rentrer dans un moule ancien et corrodé un mouvement vivant qui cherche sa voix propre.
Si nous continuons à penser que la force politique du mouvement c’est la démission de Macron, c’est Drouet qui ira la chercher, pas Martinez. Ensuite, comme le dit Fly Rider, « je retournerai à ma vie ». Ce mouvement est vivace parce qu’il se fixe comme objectif la fin du système Macron mais aussi parce qu’il n’a pas vocation à gouverner. Cette dernière question, c’est ensemble dans les assemblées qu’elle est envisagée. Le texte de Commercy a ici toute sa place.

Mardi, un nouveau tournant.
Tourner, retourner, ce sont des choix à faire chaque fois et il apparaît que ce mouvement fait preuve d’une intelligence collective exceptionnelle.
Que les anciens se rappellent les « temps forts » d’autrefois et comparent. Misère !
La vie se soulève, faisons sauter tous les couvercles !

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Vendredi 1° février

Le syntagme est « affreux jojo ».
« Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu’un ministre ou un député ! » a déclaré le président Macron après avoir précisé qu’il arrêtait les petites phrases. Mépris, inégalité, « ceux qui sont et ceux qui ne sont rien ». Le patient a toujours les mêmes symptômes. Il est de fait incurable.
Le syntagme est bien « AFFREUX JOJO ».
Jojo, c’est aussi une chanson de Jacques Brel, sensible, douloureuse et pleine d’humanité. Le patient, lui, en est absolument dépourvu.

Les journalistes reçus à l’Élysée ont rendu des papiers descriptifs ou bavards mais aucun n’a mis en exergue le passage où Macron assimilait les gilets jaunes à 40 à 50 000 extrémistes de droite comme de gauche et qui veulent renverser la république.
Depuis deux mois ces mêmes journalistes ne cessent de stigmatiser la tendance complotiste des gilets jaunes mais lorsqu’ils ont un vrai complotiste à portée de plume alors ils parlent d’autre chose.

Si l’on considère les gilets jaunes comme de dangereux séditieux, il faut les affronter. La dérive sécuritaire vient bien de là. Et pour mener à bien cette sale besogne, il faut des baqueux, des civils excités, des Benalla hors la loi, des sicaires.
Chez les forces républicaines du maintien de l’ordre, les CRS ou la gendarmerie mobile, on voit d’un sale œil ces voltigeurs souvent repus de propagande RN ou plus à droite encore. De sources policières, sur la totalité des balles de défense tirées, les compagnies régulières n’en ont tirées qu’un tiers.
Non seulement le gouvernement fournit des armes assimilées à des armes de guerre mais il les confie à des voltigeurs, à des brassards à l’identité trouble. Ce sont ces derniers qui sont essentiellement responsables des blessures infligées aux gilets jaunes.
Qui est complotiste ? Qui flirte avec les limites légales ? Qui est responsable des violences et du climat délétère ?
Allo, Mediapart ? Où sont les bandes audio ?

Demain, l’Acte XII sera consacré au soutien apporté à nos frères et sœurs gilets jaunes blessés ou mutilés lors des Actes précédents. Un cortège silencieux et pacifique parcourra Paris. A Marseille, un mur de la honte a été édifié avec les photographies des morts et des blessés en France, à la Réunion et en Belgique. Dans d’autres villes des manifestations pacifiques et des hommages seront organisés.
Avant de repartir en avant par la grève et le blocage, ce samedi de recueillement, de dénonciation des violences gouvernementales et, somme toute, de fraternité est nécessaire. Il sera fort en émotion.
Mot banni du vocabulaire néo-libéral. Mot honni par ces hérauts.

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Jeudi 31 janvier

Hier, je rapportais cette phrase de Macron prononcée en Égypte : « Je marche sur la glace ».
Aujourd’hui, en mettant en ligne les enregistrements de conversations entre Crase et Benalla, Mediapart a brisé la glace.
Au sens propre comme au sens figuré, c’est la débâcle.

Avant de plonger dans la lutte qui passe par l’Acte XII et devrait se poursuivre par une grève générale illimitée à partir du mardi 5 février, il nous reste un peu de temps pour nous pencher sur une analyse générale de la situation.
L’entretien donné par Tony Negri à Médiapart le 29 janvier est particulièrement bienvenu et m’a inspiré les considérations qui suivent.
Toni Negri situe le mouvement des gilets jaunes dans la mouvance des événements apparus depuis 2011, de la révolution tunisienne à Occupy Wall Street. C’est ce trajet qu’il interroge avec son compère Michael Hardt dans Assembly.
C’est un point de vue que je partage mais que je sais discuté. Pour ma part, je suis convaincu de l’importance de situer ce mouvement nouveau et atypique dans un continuum historique international. Se contenter de suivre le cadre national nous ferait nous arrêter au premier obstacle rencontré : la faillite de la politique.

« Les gilets jaunes doivent rester un contre-pouvoir et ne surtout pas se transformer en parti politique ».
En cela, Negri diffère de Chantal Mouffe et de ses émules. C’est en prenant l’exemple, justement, de Podemos qu’il appuie sa démonstration. Nous ne parlerons pas de l’état actuel de ce parti mais du constat qu’il « s’est trouvé incapable de récupérer d’un point de vue théorique ce que les Espagnols mobilisés faisaient d’un point de vue pratique. » Il faut sortir de l’idée que chaque échec de transformation d’un mouvement en parti politique le représentant serait dû à des erreurs, à l’inexpérience ou aux mauvaises intentions de certains militants. La cause est bien structurelle et politique. « Ils doivent rester sur le terrain des luttes, plutôt que de devenir un parti politique ». Dans le cas contraire, ils seront « engloutis » par le système. En moins d’une semaine, nous avons vu ce qui pouvait advenir d’une simple liste électorale.

« La mutation du mouvement ne viendra pas de l’extérieur, elle viendra des acteurs eux-mêmes ».
C’est là tout l’intérêt de l’assemblée de Commercy. L’avenir et le développement de cette initiative dépendra largement de sa capacité à résister à la réification politique ou partidaire.

Tony Negri aborde quelques points déjà notés dans ce journal, en particulier : le bonheur d’être ensemble. « On n’a pas peur parce qu’on est en germe d’une fraternité et d’une majorité ».
Il va même plus loin lorsqu’il dit que, comme dans une famille, les gilets jaunes essaient de régler les litiges par la discussion (c’est le sens du RIC). « Ils sont dans l’amour, dans un régime de passion ».
Ces mots ne font pas partie du vocabulaire des vieux militants, mais il suffit de voir les relations des gilets jaunes entre eux pour penser que Negri a raison. Bien sûr, les « chiens de garde » et les « intellectuels poudrés » ont du mal avec ce registre.

« C’est un phénomène totalement nouveau, à la mesure de l’écroulement de la politique. »
Nous pensons, sans doute, encore dans un monde ancien.
Et, dans ce monde ancien, il y a la question syndicale comme nous avions coutume de dire.
Les gilets jaunes « dépassent le niveau syndical de la lutte. Le problème du coût de la vie est central, mais le point de vue catégoriel est dépassé ». Ils sont en recherche directe de « l ‘égalité autour du coût de la vie et du mode de vie.
Ils sont donc amenés à aborder le problème de la distribution de la richesse et des impôts. »
Mais faisons l’effort d’analyser positivement cette situation et non de raisonner à partir de ce qu’elle aurait due être. (Halte aux raisonnements hypothétiques !) Il ne s’agit pas de pointer la responsabilité de tel ou tel bureaucrate syndical mais bien le fait de comprendre que le monde a changé. Le temps où la sirène de l’usine rythmait toute la vie de la ville est terminé.
Aujourd’hui, « c’est un ensemble de singularités qui travaillent… précaires, chômeurs ou retraités, mais qui sont dans la coopération. » Cette coopération n’est pas induite directement par les conditions matérielles d’exploitation. Elle doit se construire. « Il ne s’agit pas seulement de quantité » comme dans les usines fordistes. « C’est aussi la qualité des relations qui est en jeu. » C’est ce qui se passe ou se passait sur les ronds points et que l’on recherche dans les assemblées.

Je ne reprendrai pas les passages de l’entretien sur la violence qui sont assez similaires à ce que j’ai déjà écrit. Mais sur ce sujet, j’ai entendu Jérôme Rodriguez dire à midi : « Il faut parler des violences du gouvernement. » Les violences ne sont pas seulement des violences policières. Il a sans doute raison.

A cette étape, nous ne savons pas si ces analyses vont se vérifier ou non. Nous sommes dans le moment de la lutte et, en face, le pouvoir néolibéral est en crise et ne voit qu’une seule sortie, l’affrontement. Negri dit clairement que les régimes néo-libéraux « tendent vers le fascisme ». Cette remarque recoupe des discussions byzantines sur le terme, mais ce qui est sûr c’est que la lutte des classes est de retour sous une forme frontale.

Je ne peux qu’être d’accord avec la formulation de Tony Negri qui résume la situation en la projetant dans le temps : « Le passage de ce type de lutte à la transformation de la société est un processus terriblement long et parfois cruel ».

A vérifier, si le temps le permet bien sûr.

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Mercredi 30 janvier

Nous partîmes cinq cents et par un grand effort,
Ne fûmes que trois cents en arrivant au port.

Poussée par la voix grave et puissante du POID, la manifestation traversa Saint Germain à vive allure. Que dire de plus sur cette manifestation appelée du jour au lendemain par 17 organisations contre les violences policières ?
J’ai discuté avec un militant du POID et plusieurs militants de retour de Commercy. La question de la riposte aux violences policières, auxquelles il faut aussi joindre les attaques fascistes, est vite réglée. Prévoir un meeting serait disproportionné étant données les forces réelles de ces groupes politiques. Cela se comprend aisément. Mais si ces organisations n’en appellent jamais à la population, la situation ne peut qu’empirer.

La solution ne viendra donc que du cœur du mouvement. Que les trois « leaders gilets jaunes » appellent à une manifestation commune principalement dédiées aux morts, blessés et estropiés est une avancée politique.
Depuis cet après midi, l’agression contre Jérôme est « répertoriée et sourcée » par David Dufresne. Plusieurs journalistes et « hommes politiques » ont déclaré que si Jérôme Rodriguez avait été visé sciemment ce serait un scandale d’État. Aujourd’hui on peut le dire : c’est un scandale d’État.
Si Castaner survit à ce scandale, nous aurons une preuve de plus que le gouvernement néolibéral de Macron a largué les amarres pour des contrées dangereuses. Cet épisode en dit encore plus long que le texte de loi Retailleau retaillé à la hâte.
La question de la dérive autoritaire, ou même fasciste suivant les auteurs, est malheureusement tranchée. Le néolibéralisme, n’en déplaisent aux néo-cons Goupil, Bruckner et autres (plus ou moins néo), génère un État « post démocratique ». En terme clair, une dictature qui ne dit pas son nom.

Est-ce politiquement tenable ? Comment continuer les « réformes sociales » ou simplement résister quand une large partie de la population se soulève, quand les plus pauvres, les plus éloignés de tous les pouvoirs, les « sans espoir » retrouvent la voie de l’insurrection.
Cela ne passe que par l’affrontement, le recours à la violence quand l’aliénation ne suffit plus.

« Je marche sur la glace » a dit Macron en Égypte. L’image des sables mouvants aurait été plus appropriée mais ce « littéraire » est devenu une ganache qui parle à « son peuple comme à son cheval ». Bref, l’image est là et nous imaginons la suite : « le cul par terre, les quatre fers en l’air, c’est la faute à Drouet… ».
La peur s’instille dans chaque rouage de l’État.
Le Journal du Dimanche a rapporté la visite de Brigitte Macron au bunker de l’Élysée durant le premier Acte. Certains ont eu la « tentation de Venise », d’autres s’envolèrent pour Baden Baden, les Macron se sont vus finir dans un bunker ! La peur inspire la fuite parfois, la violence et la déraison toujours.

La transformation de la société en société de contrôle continue même pendant les travaux.
Je m’interroge sur cette campagne à bas bruit orchestrée par des journalistes, des écrivains souvent de gauche, lettrés pour la plupart, contre l’usage du pseudonyme sur les réseaux sociaux au motif qu’il faut lutter contre les injures et les fakes. J’ai laissé depuis longtemps mon pseudonyme dans les oubliettes du gauchisme et il m’arrive maintenant de twitter sous mon nom. Mais je suis blanc, vieux, autonome financièrement. En gros, je représente une catégorie d’hommes (femmes, c’est pas sûr) qui serait autorisée à surfer sur la toile mais aussi par extension qui débat, qui vote…
Je pensais à cette scission qui s’opère avec la bienveillance des « bien pensants et des bonnes âmes » quand je tombe sur un article annonçant une réunion entre Macron et de Mark Zukerberg, le patron de Facebook, pour mettre au point la lutte contre les fake news et assurer le contrôle des données personnelles. Pour garantir nos droits ? Allons, dormez bonnes gens, Big Marcron et Big Mark are watching you.

Toujours sur les bonnes âmes, les bien peignés avec la raie à gauche, Fly Rider (je mets son pseudo et je vous …) a déclaré en substance : « Si dans quinze jours rien d’important n’est intervenu, je quitte la France et je demande l’asile politique ». Et toute la basse cour médiatico-politique (au hasard, Brice Couturier, Jean Quatremer, les dessinateurs du Monde) a caqueté de concert : le con, le nuisible, le fasciste. On vous l’avait bien dit. Ce sont toutes des pécores ignorantes.
Je repense au « Maître ignorant « de Rancière et je lui trouve un lien fort avec les assemblées des gilets jaunes. Le savoir est en construction de Commercy à la maison du peuple de Saint Nazaire.
Mais je m’égare. Donc Fly est un gros ignorant. Le mépris dégouline ; ils en ont des réserves. Et pourtant, dans sa déclaration, c’est toute la détermination, le refus du retour en arrière, l’espoir désespéré de Maxime Nicolle qu’il faut entendre.

Donc, l’Acte XII sera forcément plus politique encore que les précédents. Castaner démission sera l’urgence du jour.
Mais, plus politique encore sont aussi les analyses et les articles qui paraissent désormais. Je pense notamment à l’entretien de Toni Negri dans Médiapart et à l’article de Serge Halimi dans le Monde Diplomatique.
Il faudra y revenir pour essayer d’accorder le temps de l’analyse à celui de l’action et sortir des textes sur l’esthétique du mouvement.

***

Lundi 28 janvier

Hier, aux aurores, un ami m’a envoyé un SMS en quatre points portant sur l’Acte XI de samedi. Je vais donc le reprendre et le discuter avec un peu de recul.

1 Le mouvement continue.

Aucun signe d’affaiblissement. Le mouvement en partie spontané et auto organisé se reproduit tous les samedis à l’image d’une tache d’huile. Son contour change, sa géographie évolue. Des villes continuent à battre leur record, des villes moyennes s’embrasent alors que la manifestation de Paris s’amenuise.
Des chiffres ?
Comment se fier à ceux de Castaner quand on entend qu’il y avait hier 10 500 « foulards rouges » dans la rue ?
Rouge est la couleur du sang versé par les gilets jaunes.

2 Commercy

C’est un grand succès par rapport au nombre de participants représentant chacun des entités « gilets jaunes ».
Les débats ont d’abord été consacrés, comme dans toutes réunions de ce type, aux prises de contacts et à des vérifications d’accord.
Le texte me laisse cependant un peu perplexe. Il est parfait, trop parfait. Il ne lui manque pas un seul bouton de guêtre et les guêtres, c’est pour la parade.
L’objectif de cette assemblée des assemblées est d’être utile, d’étendre le réseau, d’approfondir les discussions, de définir les objectifs politiques et de se donner les moyens de les atteindre.
Le texte très performatif de Commercy ne doit pas être utilisé comme un texte de différenciation de l’extrême gauche (twitter gazouille déjà de plaisir), et le plus difficile commence. Car, comment élargir la structuration en évitant toutes formes de sectarisme. Le texte n’est pas un programme. Ce qui compte avant tout c’est le mouvement, la structuration, la lutte. Le texte ne doit pas être la madeleine qui réveille les souvenirs glorieux des gauchistes du siècle dernier.
Si la prochaine réunion pouvait rassembler des gilets jaunes qui viennent avec leur conscience partielle, leurs hésitations et leurs fulgurances, leur détermination et leur jeunesse, Commercy Acte XI serait un événement historique.

3 La mobilisation contre les violences policières est à l’ordre du jour.

Ce n’est plus la peine de démontrer l’existence des violences policières ni la stratégie agressive et morbide des responsables du maintien de l’ordre. Des travaux sérieux (ceux de David Dufresne par exemple) les attestent. Diffusés dans toute l’Europe, ils ont de quoi effrayer. Macron est disqualifié pour parler des droits de l’homme même avec le boucher Al-Sissi et qu’il fasse le commercial pour les entrepreneurs amis alors que le pays souffre est indigne.
Ce n’est pas une découverte : « Macron démission. »
Samedi, cependant, la répression s’est faite plus sélective.
Une des figures des gilets jaunes, Jérôme Rodrigues, a été visé à la tête par un tir de LBD et blessé au pied par un éclat de grenade. Le gouvernement dément et parle d’accident. Maxime Nicolle, autre figure connue, a été interpellé à Bordeaux. Interpellation rapide mais ciblée. Castaner et son secrétaire cherchent à impressionner les leaders du mouvement.
Je dis cela en toute connaissance de cause car je me trouvais, quelques instants avant, place de la Bastille, à l’endroit où Jérôme est tombé alors qu’il filmait et rien, absolument rien, ne justifiait l’usage d’armes.
Éric Drouet a immédiatement appelé à une mobilisation massive contre les violences policières samedi prochain. Il a raison mais ce n’est pas suffisant.

Autre problème : un groupe fasciste s’est attaqué à deux reprises à un cortège de militants du NPA. C’est inadmissible et cela doit être condamné par tous.
Que des groupes fascistes, violents, entrainés formés d’étudiants en fin d’études, en stage d’intégration politique avant de rejoindre les grands corps de l’état ou les entreprises juteuses du privé comme les Zouaves, n’a rien d’un hasard.
Des photos de l’agression ont circulé dès l’opération terminée avec ces commentaires : « les gilets jaunes se battent entre eux » et comme sous texte : ce sont des fous violents, il faut employer tous les moyens pour les arrêter, il sont hors du champ de la raison. Les autres, les sensés, suivent le Grandéba de « mes petits chéris »et se présentent aux élections.
Le danger politique est réel.
Certes, comme Solidaires le propose, constituer un SO anti fasciste commun et renforcé est une nécessité. Mais la réponse ne doit pas être que militaire. L’issue serait terrible.
Non, il faut aussi une réponse politique. Cela passe par le fait d’arrêter de se déguiser en gilet jaune si l’on ne participe pas à des regroupements du même nom. Les gilets jaunes ne veulent ni syndicats ni partis. Ce n’est pas un dress code, c’est une pensée politique des « couches subalternes ».
Pour autant, les organisations doivent agir. Elles ont la responsabilité d’aider les gilets jaunes à exprimer leurs revendications. Elles doivent les protéger politiquement pour qu’ils puissent s‘auto-organiser et agir librement.
J’entends ici et là, des camarades exprimer des craintes quant à la présence de l’extrême droite dans le mouvement lui-même (bien réelle), d’autres dire qu’il faut la chasser car elle est extérieure au mouvement (à Lyon, à Rennes, les groupes fascistes ont été chassés). Mais la composition hétérogène du mouvement fait que les distinctions sont parfois difficiles à faire. Les oriflammes ne sont pas toujours déployés et les matraques sorties.
C’est donc aux organisations politiques de gauche comme d’extrême gauche de proposer une action en leur nom, pour combattre les violences policières et les attaques fascistes, car les deux sont politiquement liées.
Il fut un temps où de tels agissements provoquaient immédiatement une riposte commune, le plus souvent sous la forme d’un grand meeting ouvrier et démocratique. Il faut aujourd’hui se souvenir des bonnes choses et retrouver un peu d’efficacité et beaucoup de clarté politique.
Un meeting pour l’amnistie, l’interdiction des LBD et des grenades défensives et pour la démission de Castaner permettrait de prendre ses responsabilités, sans se substituer le moins du monde aux gilets jaunes.

4 Les militants CGT commencent à bouger.

Le 5 février se prépare. De plus en plus de militants syndicaux, il en reste quelques uns, participent aux manifestations. Mais il y a aussi des gilets jaunes qui ont retrouvé leurs chasubles rouges.
Le mouvement est complexe.
Il est aussi arrivé que des gilets jaunes se soient rendus sur des sites en grève. Ce ne sont pas des « convergences de luttes », terme structuraliste, mais la vie qui s’organise pour en finir avec ce monde pourri.
Pour le moment, tout ce que l’on peut dire, c’est que les gilets jaunes d’Éric Drouet ont sauvé du désastre la journée d’action de Martinez.
La véritable question est de savoir ce qui va se passer le 6. Comment organiser une grève illimitée entre sites de production et nœuds de flux ? Comment participer si l’on n’est pas un salarié localisé ? Etc. Ce sont ces questions là qui doivent être abordées dans les assemblées et les ronds points. C’est inédit.
Mais aussi comment tous ensemble faire face aux agressions contre le mouvement, contre les figures connues du mouvement et contre les militants politiques qui les soutiennent.

Cela dure, c’est extraordinaire. L’irruption de l’inédit peut nous sortir de la répétition éprouvante.

***

Messages

  • Les Amis du Monde Diplomatique de Clermont-Ferrand
    vous invitent
    le samedi 02 février à 17 h au café des Augustes

    sur le thème :

    "Liberté d’expression, liberté de manifester : oui"
    "Loi "anti-casseurs" du gouvernement en place : non"

    Manifester est un droit constitutionnel ;
    Une manifestation peut déjà être interdite
    Il n’est pas besoin de loi complémentaire.

    Désormais, si tu veux aller manifester,
    Tu pourras être fouillé ou palpé.
    Anti-terrorisme, anti-hooliganisme.

    Fouilles, contrôles à l’entrée des manifestations
    Filtrages des sorties
    Mises en place de nasses.

    Tu pars en manifestation au loin ;
    Un pique-nique avec fouchettes et couteaux
    Est désormais une "arme par destination".
    Tu discutes : interdiction de manifestation.

    Lecteur de réseaux sociaux,
    Tu vas manifester avec une écharpe
    Ou tout objet "pouvant servir de projectile"
    Tu discutes : interdiction de manifestation

    Le syndicat des avocats de France
    t’a averti : tu seras fiché.

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