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Un autre siècle

lundi 16 décembre 2013, par Club Politique Bastille

Publié le 24 juin 2013

À travers l’histoire, les organisations dans le mouvement ouvrier se développent ou dépérissent en fonction des liens quelles tissent avec la masse des opprimés, en relation bien sûr avec la politique qu’elles mettent en œuvre (1).
Pendant longtemps, au moins jusqu’en 1988, le PS relooké à Epinay est parvenu malgré les échecs et les déceptions (1983) à maintenir vivant un certain rapport avec les salariés. Nous étions encore au 20e siècle.
L’époque n’est plus où, gouvernant, le PS pouvait -avec ou sans le PC- faire marcher la planche à billets, emprunter pour accorder quelques miettes aux salariés (5e semaine de congés payés, 39 heures payées 40, etc.) en contrepartie des « réformes ».
Assujettis à une monnaie commune, à une banque centrale indépendante, et surtout aux pouvoirs de la commission européenne, le PS ne peut plus rien céder. Il avance vers l’Europe fédérale, celle qui dessaisira les gouvernements nationaux de l’essentiel de leurs pouvoirs. Le PS doit tout reprendre : privatisations, soutien au patronat, augmentation des impôts, réforme des retraites, plan drastique de « redressement » de la sécurité sociale, implosion du code du travail, baisse des salaires, de la consommation, explosion du chômage...
Le PS n’a plus aucun lien avec les salariés. C’est une machine électorale dont les cadres vivent sur une autre planète sociale. Parlementaires européens, français, dirigeants de régions (21 sur 22), maires, etc. Matériellement, il y a autant de rapports entre un élu et un salarié qu’entre un chien et un chat… La multiplication des « fromages » en région (intercommunalité, syndicats, etc.) assimile la plupart des élus aux couches aisées de la bourgeoisie. A un pôle les privilèges, à l’autre pauvreté, paupérisation… Même les « petits » élus vivent de prébendes. Il faudrait faire une étude sérieuse sur cette question.

La génération qui est aux manettes n’est plus celle de 1981, c’est celle de Bruxelles, du oui au traité de Maastricht, les porte-voix de la mondialisation. Ce sont des technocrates du capital. La direction du PS a des pratiques de « gang », a déclaré récemment l’un des membres de la minorité de « gauche ». François Hollande, J.M. Ayrault et les ministres sont conscients de leurs responsabilités. Quel qu’en soit le prix électoral, ils iront jusqu’au bout de leur politique anti-ouvrière. Lorsqu’ils seront liquidés électoralement, la droite reprendra le fil de la même politique. Malgré le rejet de Sarkozy, les masses pressentaient intuitivement cette réalité. Voilà pourquoi Hollande a eu un si petit résultat électoral. C’est donc totalement différent d’avant. François Hollande n’a qu’un objectif, mettre en œuvre en France, la politique que mène le « centre-gauche » en Italie, la politique que le PS a menée en Espagne, celle qui « triomphe » à Berlin. Un mot encore. Bruxelles « n’impose » rien. Les gouvernements sont partie constitutive de la Commission et de tous les autres organes. Récemment F. Hollande a fait mine d’envoyer Bruxelles sur les roses pour préciser que la réforme des retraites était déjà dans les tuyaux !
Simplement, il est possible que cette fois les débâcles électorales soient encore plus fortes que par le passé. Il est même possible que la haine qui monte contre le PS aboutisse à une dislocation totale de l’organisation.
La multiplication en Espagne, Italie, Allemagne, USA de mouvements plus ou moins structurés est d’abord l’expression de rejet des appareils de « gauche ». C’est la tentation de créer d’autres lieux, d’autres forces de mobilisation. Ici c’est la rue, là ces mouvements prennent une forme électorale. Ces mouvements n’ont pas de programmes achevés et leur faiblesse majeure, c’est qu’ils ne revendiquent pas le pouvoir. Leur programme c’est leur existence. Les uns disparaissent, les autres perdurent. Ce n’est pas le problème. Ils expriment un processus général plus ou moins anticapitaliste. Leur force : ils rassemblent dans la rue ou les usines un mouvement profond. La société politique ne les représente plus ! C’est là un point majeur. Les camarades qui montent la garde « programmatique » sont inquiets de cette situation, rêvent d’un processus révolutionnaire modèle « 1917 » qui n’existe ni n’existera plus. Il faut être encore plus clair : la floraison de ces mouvements est le revers d’une médaille : l’échec historique des organisations trotzkystes, plus généralement d’extrême gauche. Ce modèle politique aussi est révolu, il appartient à un autre siècle. Ces mouvements, des Indignés aux pirates en passant par Cinq Etoiles sont des transitions plus ou moins organisées vers la mobilisation plus ample. En 1968 le mouvement du 22 Mars a joué un rôle dans le déclenchement de la mobilisation étudiante, puis a disparu. Un moment politique d’auto-organisation. Ne l’oublions pas.
Si je m’autorise ces quelques réflexions, c’est qu’il me semble que trop de camarades cherchent des points de repère, des références dans les années 30. Tout est maintenant différent. À l’époque le centre du monde se situait en Europe. Victoire ou échec de la révolution, se jouait en Allemagne, Italie, en France, en Espagne. La puissance économique était en Europe. Les Etats-Unis n’étaient pas encore le centre du monde. Aujourd’hui c’est la Chine. La Chine, le Japon, la Corée, le Brésil et encore les Etats-Unis, etc… Plus l’Europe. La fabrique du monde dispose du plus important prolétariat de la planète.
Nous devons réfléchir à ces éléments stratégiques. Si bien que lorsque des camarades, à propos de l’assassinat -involontaire- de Clément Méric, évoquent le fascisme… ils se trompent lourdement.
Il n’y a pas de menace fasciste.
Il y a, en France, en Europe, des partis nationalistes plus ou moins extrémistes. Le FN n’est lui-même pas un parti fasciste. C’est un parti qui veut intégrer une majorité gouvernementale, comme en Italie, et qui, pour y parvenir, se normalise et passe essentiellement par le suffrage universel. Les fascistes existent, c’est une ultra-minorité. Gardons raison : les JNR, disait un spécialiste de l’extrême droite, c’est trente militants !
Nous sommes à des années lumière des fascistes italiens ou des groupes nazis !
Mais il y a absence de menace fasciste, pour une tout autre raison, elle fondamentale : la lutte des classes en Allemagne, en France, en Angleterre, en Italie, en Russie, est au point mort ou pas loin. Ce n’est pas le cas en Espagne, ou en Grèce, là la menace politique pour le pouvoir existe, d’autant qu’en Grèce les salariés ont frôlé la victoire. Quand les salariés sont dans le combat social, politique, la formation, le financement de groupes fascistes est une nécessité pour le capital.
Je ne suis pas en train d’affirmer que rien ne se passera en Europe : il y aura des luttes, des affrontements, et espérons-le, l’essentiel, l’irruption de mouvements spontanés. Mais pour ce faire, les exploités, les opprimés doivent reprendre confiance en eux. Retrouver le chemin de l’action collective, briser la contagion mortifère de l’individualisme. Ce n’est pas rien. La lucidité commande d’apprécier les faits tels que l’histoire nous les propose. Ajoutons que nous devrions mener à bien une radioscopie du salariat, aujourd’hui en France. Pour mesurer le coût social des délocalisations, des salariés à « nouveaux » statuts, de la précarité, l’intermittence, etc. Pour parler au salariat il faut savoir de quoi exactement il est fait.
Autant de débats à mener entre nous, mais aussi avec d’autres. Nous sommes dans un autre siècle.
Charles Jérémie
1.- À une petite échelle cependant importante, le destin du NPA illustre cette loi implacable. Incapable de se lier aux masses, obnubilé par les médias, allant d’une stratégie à l’autre la crise qui frappe cette organisation peut conduire à sa disparition.

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